Vendredi
19 septembre 1930 (Extraits du livre de Dominique DUVIARD
"Le temps des thoniers") :
« …
Plusieurs
centaines de dundees sont en pêche, aux accores du
plateau continental, dans le suroît de l'Irlande, sur
la Grande Sole. Là en effet se trouvent les mattes de
thon, qui de tout l'été, n'ont pas fait défaut aux
pêcheurs au cours d'une campagne jusque là fructueuse.
Au cours de la journée, le baromètre est rapidement
descendu, et un fort suroît lève une houle qui se
creuse d'heure en heure. Le ciel, chargé de nuages de
pluie, s'assombrit à l'approche de la dépression. Tant
que la mer reste maniable, les voiliers ayant réduit
la voilure – grand-voile à un ris, point pesé le cas
échéant, trinquette à un ris, foc de neuf –,
continuent à traîner une partie de leurs lignes. Les
patrons les plus expérimentés, sentant venir un coup
de vent sortant de l'ordinaire, prennent leurs
dispositions pour mettre à la cape, voire en fuite
dans un premier temps : la concentration des voiliers
les inquiète. Les tangons sont solidement bridés, tout
est vérifié à bord.
Après
une
mauvaise nuit passée à la cape, la mer forcit encore
au petit jour. Bientôt l'énorme houle se couvre
d'écume : la mer blanchit sous les déferlantes. Le
ciel, uniformément couvert, roule ses nuées
fuligineuses sur un océan baratté … »
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Pour l'ensemble du littoral atlantique, le bilan est de 28 bateaux
perdus, dont 26 corps et biens ; 50 bateaux sont hors service et
400 gravement avariés. Le bilan humain est de 207 morts, laissant
derrière eux 127 veuves et 191 orphelins.
A Etel, 10 thoniers ne sont pas revenus : La Victoire, le Marguerite-Madeleine,
l'
Ernest-Marcelle, le Joseph-Pierre, le Joseph-Yolande, le Pont er
Sah, La
Vérité, le Saint
Paul, l'Intrépide,
l'Albatros.
A bord de ces dix navires perdus corps et biens il y avait 58
hommes d'équipage, auxquels il faut ajouter les 14
hommes emportés par des lames sur d'autres bateaux.
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Sur l'ensemble de ces
dix thoniers, la moyenne d'âge était de 29 ans. L'aîné des
disparus, Jean-Marie DREAN, sur l'Albatros avait 60 ans. Le plus
jeune, mousse à bord de l'Ernest-Marcelle, Pierre GUILLEVIC, avait
14 ans. Cinquante pour cent étaient mariés et pères de famille.
Ils laissaient 75 orphelins.
Sur le Pont Er Sah, il y avait notamment Edouard GUILLEVIC et Jean
TARTAISE, tous deux de la famille RIO x L'OFFICIAL. Edouard
GUILLEVIC était cousin germain de Julie L'OFFICIAL, la grand-mère
maternelle de Marie-Armelle, mon épouse. Ernest RIO, le frère
d'Armel RIO, grand père maternel de Marie-Armelle, est quant à lui
disparu à bord de l'Ernest-Marcelle. Parmi les L'OFFICIAL, on note
également à bord du Saint Paul, Thomas fils du grand-père de
Julie, Jean-Marie L'OFFICIAL, né d'un second mariage, et son fils
Alphonse. [NDLR : Le patron de l'Ernest-Marcelle, Joseph,
est également un L'OFFICIAL, mais je n'ai pour l'instant aucune
information permettant de dire s'il faisait également partie de
la famille de Julie].
A bord de l'Ernest-Marcelle se trouvait également Rémi GUILLEVIC,
père de Rémy GUILLEVIC le précédent maire d'Etel (décédé le 26
juillet 2006), auteur d'un opuscule paru en Avril 1998
"Mon père était, comme ses ancêtres, un matelot" dont est
extraite une partie des informations présentées dans cette page,
et notamment les témoignages de René LE DIRAISON et d'Alexandre
BOZEC.
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De ce long
cauchemar de vieux marins se souvenaient, avec dans les yeux une
lueur d'épouvante.
René LE DIRAISON d'Etel, mousse à
bord de La Gueuse commandé par son père, avait 12 ans :
« 1930
!
C'était le début de ma navigation. Cette marée-là,
nous sommes partis de Douarnenez vers le 13
septembre, en compagnie d'un autre thonier de
Port-Louis, le Bonhomme Barbe d'Or…
Le 18 septembre,
dans la soirée, le vent soufflait du Sud-Ouest en
forçant. Le baromètre était en chute brutale. Mon
père fit prendre deux ris dans la grande voile pour
la nuit. Il fut bien inspiré car l'état du temps
dégénéra rapidement.
Levé à 4h30 le
vendredi 19 septembre, je réussis cependant à
préparer le petit-déjeuner. Au moment d'appeler les
hommes vers 6h30, Je montais sur le pont prendre les
tasses des hommes qui avaient l'habitude de les
pendre sur la cloison extérieure du panneau de la
chambre… Le comportement du bateau était difficile
car il prenait la mer par l'avant du travers. La
force du vent était telle qu'elle ne permettait plus
aucune manœuvre de rattrapage.
Le Bonhomme Barbe
d'Or qui passait derrière nous était déjà
complètement désemparé et fuyait vent arrière sur
son tourmentin. Son pont avait été balayé, son mat
de tapecul était couché sur le pont. Les hommes nous
faisaient signe d'aller à leur secours. Hélas, le
vent était si fort qu'il ne permettait plus aucune
manœuvre.
Plus tard, nous
avons appris qu'il avait chaviré et avait perdu deux
hommes dont le patron.
Le soir du 19
septembre, couché assez tôt, je m'endormis, comme on
le fait à cet âge après une rude journée. Dans la
nuit, je fus réveillé par un bruit insolite, comme
celui du ressac à la côte. Il n 'y avait plus de
lumière mais je me rendis cependant compte que le
bateau était plein d'eau, bien au-dessus du plancher
de la cale. Au dessus de moi, le panneau avait
disparu. Un homme qui descendait l'échelle fut
littéralement coiffé par une masse d'eau et s'affala
à mes pieds… Mon père, aidé de deux hommes fixa une
toile sur l'ouverture du panneau.
Nous étions alors en
fuite vent arrière sur le tourmentin. Les lames nous
arrivaient par l'arrière et couvraient le bateau
jusqu'à l'avant. Il fallut défoncer une partie des
pavois pour faciliter l'évacuation de l'eau. Après
une heure de pompage, le bateau fut enfin asséché.
Un peu plus tard,
une lame nous prit par le travers et nous coucha sur
tribord. La voile, couverte d'eau à plat sur la mer,
nous retint un instant mais par bonheur se déchira
et le bateau se redressa immédiatement. Tout ce qui
se trouvait sur le pont fut emporté. L'homme de
quart fut retenu sur le pont, le genou coincé sous
la barre du gouvernail dont le raban s'était cassé…
Le lendemain après
midi, profitant d'une accalmie, la grande voile fut
réparée et nous fîmes route sur Etel. »
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Alexandre
BOZEC de Saint-Cado, matelot à bord du Marie-Henri (A240)
avait 19 ans en 1930. Interviewé en octobre 1989, il
avait encore des souvenirs très précis de ces jours
d'épouvante :
« Nous
étions
sur les lieux de pêche depuis plus d'une semaine
déjà, dans le Nord-Ouest de la grande Sole et nous
espérions bien ramener autant de poissons que la
marée précédente.
Le 17 dans la
soirée, le baromètre a commencé à chuter. La mer
était pourtant calme et le vent faible. Nous avons
d'ailleurs été un peu étonnés, nous les jeunes,
quand le patron Jossin BOZEC, nous a fait prendre un
ris dans la grande voile et mettre le tourmentin.
Heureusement pour nous car, dans la nuit, le vent
est passé au Sud-Ouest en forçant rapidement ; le
patron avait mettre en cape tout de suite, avec la
grande voile à trois ris. Vers quatre heures du
matin, un paquet de mer s'est abattu sur l'avant, le
bout dehors s'est cassé et a emporté le tourmentin…
On est resté en cape avec la trinquette arisée…
La mer creusait de
plus en plus et les paquets arrivaient de tous les
côtés, le vent hurlait tellement qu'on avait du mal
à s 'entendre.
Vers 8 heures,
j'étais en bas avec le patron et un homme ; nous
cassions la croûte en buvant un peu de café, avant
de prendre la relève de quart des deux hommes restés
à la barre. Tout à coup, une lame plus forte que les
autres nous a pris par le travers et nous a
complètement couchés. J'ai été balancé sur le côté ;
sans avoir eu le temps de me rendre compte de ce qui
arrivait, je me suis retrouvé à fond de cale avec le
lest. J'ai quand même vu le patron passer par dessus
la table et aller s'affaler sur une couchette.
J'avais une main en sang, sans doute blessée par des
morceaux de bouteilles brisées. »
Quand on lui demande
combien de temps le bateau était resté dans cette
position, Alexandre garde le silence un instant, le
regard perdu dans cette lointaine tourmente qu'il
semble revivre puis dit en hochant la tête :
« Longtemps,
trop
longtemps. »
Peut-on en effet mesurer
l'éternité d'une angoisse ? Mais il se reprend et
poursuit :
« La
grande
voile, sous l'effet du vent ou de la mer, a dû se
déchirer d'un seul coup. J'ai entendu un homme crier
: "I1 se redresse" et, en effet, nous avons retrouvé
l'équilibre. Quand j'ai pu monter sur le pont, je me
suis rendu compte des dégâts : plus de voile, plus
de tapecul, deux tangons cassés, les chevalets et
les thons emportés. Le canot traînait le long du
bord, quille en l'air ; et pourtant il avait été
bien saisi. L'équipage était le long du bord et
coupait rapidement les saisines de tangons pour
débarrasser le pont. La mer balayait dans tous les
sens et chacun essayait de s'agripper comme il
pouvait…
Un homme a quand
même pu reprendre la barre et ramener le bateau vent
arrière et alors on a fui, à sec de toile, au moins
à 8 nœuds. Deux hommes sont restés à la barre, l'un
veillait sur l'arrière pour prévenir quand une
déferlante arrivait et l'autre tenait le cap. Tout
le reste de l'équipage était en bas, dans la
chambre, nous étions tous tendus, personne ne
parlait. Nous avons continué à fuir, cap au Sud-Est,
pendant une trentaine d'heures : la mer ne nous
permettait pas de tenter autre chose. Mais, petit à
petit, en s'éloignant de la dépression, on a
retrouvé une mer plus calme. Nous avions nos voiles
d'hiver en réserve à bord et dès que nous avons pu
le faire, nous avons établi le foc et la grande
voile, ce qui nous a permis de faire route sur Etel,
en tenant le cap plus facilement.
Nous étions les
premiers à rentrer, juste après la tempête et, quand
les gens ont vu le bateau se présenter au large de
la barre, voiles établies, ils ont pensé que sur les
lieux de pêche, la mer n 'avait pas été trop
mauvaise et que les thoniers n'avaient peut être pas
trop souffert.
Quand nous avons
accosté, qu 'ils ont vu les dégâts et qu'ils nous
ont interrogés, l'angoisse est revenue car personne
n'avait de nouvelles des autres bateaux. Nous-mêmes,
nous ne pouvions rien dire car nous n'avions pas
aperçu un seul thonier depuis le 18.
Le lendemain de
notre arrivée, nous avons mis le bateau au sec pour
examiner la coque et le gouvernail et faire
l'inventaire des avaries. Nous devions normalement
refaire une marée au thon ; mais l'armateur et le
patron ont décidé de désarmer et de préparer le
bateau pour le chalut. »
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A bord du Père Fortuné se trouvait Jean-Marie LE
DANTEC, agé de 38 ans, grand-père de Patrice LE
DANTEC de Saint-Cado (adhérent CGSB n°1685).
Un journal de l'époque « Le Nouvelliste »
relate l'accident dont a été victime Jean-Marie LE
DANTEC :
« Le
matelôt Jean LE DANTEC, du thonnier "Père
Fortuné", a
reçu samedi matin un paquet de mer en pleine
poitrine et est tombé sur le dos. Il a vécu
dix-huit heures après l'accident. A trois
heures, dimanche matin, il expirait à bord
alors que le bateau s'approchait de Groix. »
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A noter que Jean-Marie LE DANTEC avait également
navigué à bord de l'Ernest-Marcelle. |
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