Le
texte suivant, de la main de l'Amiral Ronarc'h, relate les éléments les
plus marquants de la Brigade des Fusiliers-Marins pour la période
allant de fin octobre 1914, la bataille pour Dixmude fait alors rage,
jusqu'à novembre 1915, date de dissolution de la Brigade. J'ai trouvé les documents originaux sur le site « La Grande Guerre » d'Alain Tavernese (http://pagesperso-orange.fr/grande.guerre), à l'année 1914. |
Octobre 1914 | ![]() | |
Vers 19 heures, l’une de nos compagnies qui se rend aux tranchées de la route d’Eessen, pour une relève, se heurte, au sortir de Dixmude et à une centaine de mètres du passage à niveau du chemin de fer, c’est-à-dire bien en dedans de nos lignes à une trentaine d’Allemands qui marchent en colonne par un, sur les accotements de la route. Les deux groupes se chargent immédiatement et les Allemands s’enfuient en laissant sur place tués et blessés. Notre compagnie poursuit sa route et tombe, un peu plus loin, sur un autre détachement ennemi qui se profile nettement sur la lueur d’un incendie. Les marins ouvrent le feu aussitôt et mettent l’ennemi en déroute. Je suis mis immédiatement au courant de ces incidents, mais non par les intéressés et sous une forme très différente, malheureusement, car les faits me sont rapportés comme une méprise entre deux compagnies de marins qui se sont embrochées mutuellement.
Je parviens alors à me rendre compte de se qui s’est passé. Profitant de la violence du vent, de la pluie et de l’obscurité profonde, un fort détachement allemand a dû traverser nos lignes sans être vu, probablement en suivant le remblai du chemin de fer qui n’est pas barré. L’une de ces groupes s’est heurté, sur la route d’Eessen, à l’une de nos compagnies allant au front. Le reste a fini par pénétrer dans Dixmude en refoulant marins et Belges devant lui, et a franchi le pont-route à leur suite. Mais la garde du pont a ouvert le feu de ses mitrailleuses dès que le mélange d’amis et d’ennemis s’est trouvé un peu clarifié, abattant tous les Allemands qui n’ont pas encore passé le pont. Ceux qui l’ont déjà franchi ont continué sur la route, tirant au hasard, tuant au passage l’un de nos médecins principaux et blessant gravement l’un de nos aumôniers qui ont eu l’imprudence d’ouvrir leur porte en laissant une lampe allumée à l’intérieur. Puis ils ont quitté la route, ne sachant où ils allaient, pour se répandre dans les prairies du sud, avec les prisonniers qu’ils venaient de faire. Finalement ils ont été capturés au lever du jour, au nombre de 109. Après enquête sommaire, je fais justice immédiatement de l’assassinat du Commandant Jeanniot, en faisant fusiller sur l’heure trois Allemands convaincus d’y avoir pris une part active et j’envoie le reste à l’arrière. Je reste très préoccupé qu’une telle aventure ait pu se produire, et surtout que je ne l’aie pas connue à temps. Bien entendu, je prends des mesures nécessaires pour qu’elle ne se reproduise pas. Le Général d’Urbal, à qui je rends compte, met à ma disposition deux bataillons de tirailleurs sénégalais qui m’arrivent de Loo dans la journée. Par contre, la brigade de Meyser rejoint sa division et je remplace le Colonel Jacques par le Capitaine de Frégate Pugliesi-Conti dans le commandement de la tête de pont, en le faisant assister d’un major belge et d’un chef de bataillon de Sénégalais. Ces mouvements de troupes me conduisent à remanier notre organisation et j’en profite pour déplacer notre artillerie lourde trop bien repérée par l’ennemi. Entre temps, la gare de Caeskerke étant décidément inhabitable, j’y laisse mon PC, mais je reporte mon QG au carrefour d’Oude-Barreel, où il n’y a d’ailleurs plus qu’une masure en attendant mieux.
Dans la soirée, la brigade des marins passe sous les ordres du Général Grossetti commandant la 42ème DI. Le 28, les Allemands attaquent vigoureusement le cimetière de Dixmude, mais sont repoussés. Le bombardement reste violent, et à peu près permanent. Au nord, la 9e DA recule jusqu’à Ramscapelle et Pervyse et la 42e division, qui doit attaquer demain, réclame le 19e BCP. Comme ce bataillon est engagé, le Général Grossetti accepte que je lui fournisse à la place un bataillon de marins qui part aussitôt pour Roussdamme sous le commandement du Capitaine de Frégate Rabot. Le GQG fait connaître l’ordre de bataille allemand devant nous, devant Nieuport la 4e division d’Ersatz, puis le 3e corps de réserve, puis le 22e et le 23e corps encadrant Dixmude. Le carrefour d’Oude-Barreel étant violemment pris à partie par l’artillerie lourde allemande, je transporte mon QG à Oudecappelle, malheureuse-ment au pied d’un clocher très haut. Le 30 les Allemands enlèvent Ramscapelle, mais ils échouent dans leur attaque sur Pervyse. Le
31, une contre-attaque, où la 42e division perd 700 hommes, déloge
l’ennemi de Ramscapelle, et les Allemands paraissent se trouver très
mal à l’aise dans le polder gorgé d’eau où ils s’embourbent de plus en
plus. | ||
Novembre 1914 | ![]() | |
Le 2 novembre, après une préparation assez maigre par l’artillerie, l’attaque française est entamée, sous le commandement du Colonel Chaudron (du 15e de ligne), au moyen de quatre bataillons du 15e, du 8e BC, et d’un bataillon de marins (de Jonquières), à la fois en direction d’Eessen et de Woumen. Mais nos troupes ne peuvent avancer vers Eessen et ne parviennent même pas à déboucher de nos lignes vers Woumen, par suite de la violence du feu des mitrailleuses allemandes. En fin de journée, on a gagné 200 mètres environ vers Eessen, rien vers Woumen et l’on en reste là, le Général Grossetti ayant reçu, du 32e CA, l’ordre de porter sa division dans la région d’Ostvleteren. Le 3, l’attaque est reprise dès le matin, mais ne peut aucunement progresser. Le Général Humbert, qui commande le 32e CA, décide que l’attaque sera reprise le lendemain par la 42e DI toute entière et le Général Grossetti revient à Oudecappelle, d’ailleurs pour y perdre ses cinq chevaux tués dans l’écurie de mon QG ; je perds une batterie de 155 envoyée à Reninghe, mais je reçois à la place une section de mortiers de 220, dont la portée n’est malheureusement que de 4 kilomètres. Le 4, l’attaque de la 42e DI est reprise sur le château de Woumen, mais elle ne donne aucun résultat, malgré le feu intense de notre artillerie. Il en est exactement de même le lendemain, et la 42e division reçoit l’ordre d’aller soutenir la 38e plus au sud, tandis que ma brigade passe sous les ordres du Général Bidon, qui commande toujours le groupe des 87e et 89e divisions territoriales. Le 6, nous sommes seuls à Dixmude de nouveau, mais j’ai lieu de penser que le tapage qu’on vient d’y faire a dû donner à l’ennemi une inquiétude dont nous ne tarderons pas à subir les conséquences.
Le 8, j’oriente sur Dixmude l’un de nos obusiers de 220. Le 10, le bombardement devient plus particulièrement violent dès le matin, sur les tranchées sud-est de Dixmude, sur l’Yser sud et sur la route de Caeskerke. Vers midi j’apprends que les Allemands prononcent une forte attaque d’infanterie, puis qu’ils ont pénétré dans la ville. En m’y rendant aussitôt, je trouve au-delà du pont-route une situation confuse qui ressemble à une déroute. Par des troupes débordées, j’apprends que le front est, de la tête de pont, a été forcé en plusieurs points et que l’ennemi occupe déjà une partie de la ville. Revenu à mon PC, j’apprends que le front nord a cédé, lui aussi, et je me rends compte, très vite que la contre-attaque, dans les rues n’est possible que si j’y envoie des troupes relativement fraîches, c’est-à-dire celles qui tiennent le front de l’Yser. Mais comme cela conduit à dégarnir le front principal, celui que l’ennemi ne doit franchir en aucun cas, je décide d’évacuer la ville et la rive droite de l’Yser. Vers 17 heures, toutes les troupes valides ou libres ayant passé le fleuve, je fais sauter les deux ponts et ouvrir le feu de toute notre artillerie sur la ville. A partir de 18 heures, il m’arrive des renforts d’infanterie belge, mais pas d’artillerie, ni de munitions. Cette journée du 10 novembre nous a coûté plus de 2000 hommes, mais il était inévitable que la ville fût forcée un jour ou l’autre, puisque nous n’arrivions pas, à beaucoup près, à museler l’artillerie allemande. Il va falloir maintenant que les Allemands digèrent leur conquête et cela durera quatre ans. Naturellement, une fois débarrassés de la tête de pont, tous les effectifs dont je dispose sont sur la rive gauche de l’Yser, et je crois pouvoir affirmer que l’ennemi ne franchira pas le fleuve. Pendant les jours qui suivent, les Allemands sont d’ailleurs plus calmes et la lutte se borne à des bombardements et à des actions de mitrailleuses. Par des récits allemands nous saurons d’ailleurs plus tard que Dixmude est devenu un enfer pour eux, après l’avoir été pour nous. Le niveau de l’Yser mont toujours et l’inondation gagne les prairies de la rive droite, au sud de la ville. On annonce que les marins vont être relevés par la 89e DIT et il est vraiment grand temps que cette relève ait lieu. Depuis près d’un mois, les compagnies vivent dans les tranchées du front ce qui n’est guère favorable à l’incorporation des détachements qui arrivent presque journellement pour combler nos pertes très élevées. Au point de vue matériel, il n’est pas moins urgent de relever des troupes qui n’ont plus de souliers, ni de couvertures et dont l’armement est en mauvais état. Le 16 au matin, les Allemands entreprennent d’abattre le clocher d’Oudecapelle à coups de 210, et il en résulte la destruction totale de mon QG qui est au pied. Fort heureusement ma brigade est relevée le soir du même jour, et je la cantonne tant bien que mal, plutôt mal que bien, dans Hoogstade déjà encombré. Le 21 novembre, je reçois l’ordre de conduire ma brigade à Dunkerque, et nous nous mettons en route le 22. Par un froid piquant la brigade arrive à sa destination vers 15 heures, fourbue par cette marche de 35 kilomètres. Mais nous avons à peine terminé les opérations toujours laborieuses du cantonnement, que l’ordre m’arrive d’embarquer mes troupes sen autobus, le lendemain matin, et de les cantonner dans la région de Loo. Il faut donc se borner à distribuer les effets d’habillement qui manquent le plus et remettre à plus tard la réorganisation pourtant si nécessaire des diverses unités. Le 24 novembre la brigade de marins s’embarque en autobus dès le jour, et débarque à Linde pour cantonner à Loo et Pollinchove qui contiennent déjà beaucoup de troupes Le cantonnement est donc des plus difficiles, et, personnellement, je suis obligé d’expulser un Etat-Major de la maison où j’établis mon QG. Nous faisons maintenant partie du 32e CA (Général Humbert). Le 25, je reçois l’ordre d’envoyer un bataillon dans le secteur de Nieuport, pour relever des territoriaux, et je désigne le bataillon de Jonquières qui est pris en autobus, à 13 heures à Linde Le
27, je fournis deux bataillons pour la formation à Lampernisse d’un
détachement de toutes armes qui va tenir le front devant Dixmude sous
les ordres du Colonel Boischut. Le premier régiment de marins reste
seul à Loo où je poursuis sa réorganisation vaille que vaille. Je
fournis deux sections de mitrailleuses au secteur de Nieuport. | ||
Décembre 1914 | ![]() | |
Le 5, la brigade réduite à son premier régiment et à quelques sections de mitrailleuses se met en route à 9 heures, par une violente tempête de sud-ouest. Dès le même soir, avec ses trois bataillons, et les sept bataillons de la 84e brigade qui se tient sur le front du canal d’Ypres, elle occupe un front entre la maison du passeur, au nord, et un point situé à 800 mètres au nord du pont de Steenstraat. L’aspect général du pays est peu satisfaisant et nous n’avons jamais vu, ni imaginé une boue pareille. Elle atteint une épaisseur telle, sur certains chemins, qu’il faut les interdire aux attelages. D’autre part, peu ou point de repères dans le paysage uniformément triste, sous une pluie continuelle. L’opération de la relève est des plus pénibles, et les guides eux-mêmes se perdent dans l’obscurité de la nuit, et les troupes, déjà très fatiguées trouvent au bout de leurs peines des tranchées remplies d’eau.
En arrière du front, le terrain est savonneux, glissant au possible et coupé par de nombreux fossés ou cours d’eau pleins à déborder et dont deux, le Kemmelbeek et l’Yperlée, sont de véritables rivières. [Carte des environs de Steenstraat]Dès l’aube du 6, nous entreprenons d’assécher nos tranchées, ou plus exactement de pouvoir circuler sur les fascines que nous y jetons. Nous travaillons aussi à établir nos communications téléphoniques. Les Allemands nous laissent tranquilles si l’on excepte un bombardement sporadique qui nous cause d’ailleurs des pertes. En fin de journée, la 38e DI essaie de refouler les Allemands sur la rive droite du canal mais n’y parvient pas. Dans la nuit, nous envoyons des patrouilles reconnaître le front ennemi. Le 7, nous continuons les travaux d’amélioration du front, mais sans résultat appréciable, la pluie tombant sans arrêt sur un sol imperméable. Vers midi, j’apprends que le groupement de Lampernisse est dissous et que nos deux bataillons rallient. Nous avons beaucoup de peine à leur trouver des cantonnements. Dans la soirée, le Général Duchêne étend notre front jusqu’aux lisières nord de Steenstraat exclues. Nous avons dès lors onze compagnies au front et cinq au cantonnement. Le 8, la répartition des troupes de la huitième armée se trouve modifiée. Nous quittons la 42e division et le 32e corps d’armée pour entrer dans un groupement nouveau, commandé par le Général Hely d’Oissel, qui comprend la 87e et la 89e divisions territoriales, la brigade de marins et la 7e division de cavalerie. Le groupement H.O. a pour mission de tenir le front entre Knocke, au nord, jusqu’où s’étend l’armée belge, et la passerelle jetée sur le canal à 400 mètres au sud de Steenstraat, où se trouve la gauche du 20e corps. La brigade de marins tient la droite du groupement et son front se limite, au nord, à la passerelle (incluse) qui se trouvait au milieu de notre front précédent. Le 9, la 42e RI s’en va. L’artillerie de notre secteur se compose maintenant de trois batteries de 90 qui prennent position respectivement à l’ouest de Pypegaale, au sud du moulin de même nom, et au sud de Zuydschoote. En outre, une barrerie de 120 long est en place à l’est de Koekhuit-cabaret. Je transporte mon PC à « Nouvelle campagne », petite ferme-caboulot laissée libre par le départ du Général Duchêne, et mon QG à Oostvleteren où se trouve le PC du Général Hely d’Oissel qui a son QG à Hoogstade. Dans sa nouvelle situation, la brigade de marins se trouve avoir en ligne quatorze compagnies sur vingt. C’est trop, et je modifie la répartition pour arriver à dix compagnies au front et dix au cantonnement ce qui est nécessité par l’état climatique et par une situation sanitaire des plus médiocres. Chacun des Commandants de régiment prend le commandement du front pendant quatre jours, alternativement. Le 11 décembre, une violente canonnade éclate dans l’est. Le 20e corps prépare une attaque au sud de Poelcapelle, attaque qui ne donnera d’ailleurs aucun résultat. Plus au sud, le 32e corps est attaqué, perd du terrain, puis le regagne. Notre front reste calme. Le Général met à ma disposition une batterie à cheval de la 7e DC, mais avec seulement cinq obus par pièce et par jour. Cependant il pleut toujours. Notre situation matérielle s’aggrave, quoi que nous fassions, et avec elle la situation sanitaire, les hommes, toujours trempés, n’arrivant pas à se sécher. Beaucoup de pieds gelés, de bronchites, de troubles gastro-intestinaux aggravés par une eau de boisson malsaine. La fièvre typhoïde fait son apparition. Le 13, nous sommes avisés que les 9e, 32e et 16e corps français, ainsi que l’armée britannique, attaqueront le lendemain matin sur la ligne Cheluvelt - Comines. Le groupement H.O. et le 20e corps doivent aider l’opération par une défensive active. Nous apprenons le lendemain que l’attaque sud n’a donné que des résultats très médiocres. Le 16, le 20e corps et le groupement H.O. reçoivent l’ordre d’attaquer, le premier sur le bois triangulaire qui se trouve à 1 kilomètre au sud de Bixschhoote et sur le carrefour de routes Kortekeer, le second sur le carrefour ouest de Bixschhoote. La brigade de marins est désignée pour l’attaque du groupement, tandis que le Général Balfournier désigne, pour celle du 20e corps, un bataillon et demi de la 2e division. Notre premier objectif : les tranchées allemandes de Steenstraat. Je désigne comme groupe d’attaque le bataillon Geynet du premier régiment de marins, la compagnie cycliste de la 7e DC et deux sections de mitrailleuses.
Le 18, un ordre de l’armée prescrit de poursuivre l’offensive, mais seulement pour soutenir la gauche du 20e corps si celui-ci progresse ; mais cette éventualité ne se réalise pas. Le Général met à ma disposition, chaque jour, environ 200 cuirassiers ou dragons qui viennent du cantonnement chaque soir, à cheval et y retournent de même, le lendemain, après vingt-quatre heures de tranchée. Le 19 décembre, je réorganise le premier régiment de marins qui ne comporte plus que deux bataillons à quatre compagnies de quatre sections. L’état sanitaire s’aggrave encore, et c’est par centaines que les hommes se présentent chaque jour à la visite médicale. Nous recevons cependant, le 21, l’ordre d’attaquer de nouveau les tranchées allemandes qui nous font face, et la 11e division l’ordre d’attaquer la partie nord-ouest du bois triangulaire et les tranchées au sud de Bixschoote. Je désigne pour les attaquer la bataillon de Kerros (2-1), et pour le soutien le bataillon de Conti (2-2). Le 23, notre attaque se fait dans les conditions prescrites, mais elle échoue avec des pertes très sérieuses. Nos troupes ont été très courageuses, mais la grande tranchée allemande que nous devons prendre n’a nullement été endommagée par notre artillerie trop faible en nombre et en calibre. Dans ces conditions, les marins sont parvenus aux fils de fer très étendus et très solides qui protègent la tranchée, mais n’ont pu aller au-delà. Nos pertes ont encore été considérables. Le 23, j’expose au Général la situation de ma brigade, et je demande que les marins, qui sont très fatigués, ne fassent pas un service plus intensif que leurs voisins du 20e corps, tout en admettant l’inégalité, à notre détriment, avec leurs voisins de gauche, les territoriaux. Le Général décide d’étendre le front de la 89e DT jusqu’aux lisières nord de Steenstraat, et me donne, en permanence 350 cavaliers à pied. Le même jour, un ordre d’armée prescrit d’attaquer une troisième fois et, comme je n’ai plus de troupes fraîches, il est décidé que les troupes d’attaque seront les dragons et les cyclistes. Mais j’expose par écrit les risques considérables de cette troisième entreprise qui ne peut obtenir que des résultats dérisoires, au prix de pertes forcément très grosses, puisque nous n’avons pas d’artillerie. Dans la nuit, je suis avisé que l’attaque n’aura pas lieu, et j’en suis heureux pour les dragons. La Noël se passe dans le calme relatif d’un bombardement assez éparpillé, mais les effectifs de ma brigade n’en fondent pas moins chaque jour en raison de sa situation déplorable au point de vue hygiène. Le 28 décembre, le groupement H.O. est supprimé, la 7e DC reportée plus en arrière, reprend ses éléments, hommes et canons. Les deux divisions territoriales passent sous les ordres du Commandant du 20e corps, mais la brigade de marins va être placée en réserve d’armée. Le 29, nous sommes relevés par le 79e de ligne et nous cantonnons dans la région de Linde-Oostvleteren. | ||
Janvier 1915 | ![]() | |
Le 7, l’ordre vient de cantonner la brigade de marins dans les environs de Dunkerque, à Saint-Pol et Fort-Mardick, et une colonne d’autobus l’enlève le 8. Le lendemain j’apprends que le Président de la République viendra nous remettre un drapeau dans quelques jours et nous entreprenons aussitôt de nous rendre présentables, en secret naturellement. Dans l’après-midi de ce jour, l’aviation allemande bombarde Dunkerque et Saint-Pol, mais sans nous causer de pertes. Le 11
janvier, la brigade de marins, massée sur un terrain vague de Saint
Pol, est passée en revue par le Président de la République accompagné
du Ministre de la Marine, et le Président me remet solennellement le
drapeau des fusiliers marins, dont je confie la garde au deuxième
régiment. Aussitôt après, la brigade défile en bon ordre et je suis
très satisfait que la cérémonie n’ait comporté aucun accroc. ******* Je
dois maintenant revenir au bataillon du deuxième régiment qui avait
quitté la brigade pour le secteur de Nieuport, le 26 novembre, sous le
commandement du Capitaine de Frégate de Jonquières. Ce bataillon cantonne à Oost-Dunkerque jusqu’au 8 décembre, puis détache une compagnie à Nieuport tandis que deux autres assurent la garde de la plage entre l’embouchure de l’Yser et Oost-Dunkerque-Bains. Entre temps, le Général de Mitry, qui commande toujours le 2e corps de cavalerie, prend le commandement du secteur, et décide d’élargir la tête de pont de Nieuport, dont la conservation est de première importance pour le maintien nécessaire de l’inondation devant le front belge. Le 14 décembre, le bataillon de marins est placé sous les ordres du Colonel Hennocque, commandant une brigade de dragons et chargé de l’offensif du sud, tandis que l’offensive du nord, sur Lombartzyde et les Dunes, est confiée au Général de Buyer, commandant la 3e DC. Pour l’offensive du sud et sur Saint-Georges, le bataillon de marins place trois compagnies à Nieuport et la quatrième à Ramscappelle. Cette offensive entamée le 15 décembre, ne peut être menée que sur les routes qui seules émergent de l’inondation, et son objectif est de refouler les Allemands vers l’est, le plus loin possible, en tout cas au-delà du village de Saint-Georges qu’ils occupent. Le dispositif adopté comporte une attaque directe, sur la chaussée de Saint-Georges, une attaque de gauche menée sur la berge nord de l’Yser, et une attaque droite qui partie de Ramscappelle, franchira l’inondation dans des doris amenés de Dunkerque. L’attaque de gauche, qui comportait l’emploi de deux chaloupes à vapeur baptisées « canonnières » pour la circonstance, échoue sous un feu violent de mitrailleuses. Elle ne peut progresser au-delà du carrefour de la route de Nieuwendamme et s’y organise. L’attaque de droite ne produit, non plus, aucun résultat. La colonne du centre progresse lentement, mais méthodiquement sur la route de Saint-Georges, et finit par occuper ce village le 27 décembre, au prix de pertes modérées. On s’en tient là pour le moment, et l’on se consolide partout. Le 15 janvier, le bataillon de Jonquières est relevé, à Nieuport et Saint-Georges, par le bataillon de Belloy. ******* La brigade de marins se refait peu à peu à Dunkerque, où l’on n’a d’autre gène que celle des bombardements aériens, assez fréquents il est vrai, mais encore peu dangereux. A la fin du mois de janvier, les diverses unités ont été bien réapprovisionnées en équipement et en habillement. Les compagnies ont repris un effectif convenable de 180 à 200 hommes, et la cohésion de la troupe est redevenue satisfaisante grâce à des exercices fréquents. Le moral est resté très bon. Le 26 janvier, je reçois l’ordre de tenir ma brigade prête à être enlevée en autobus le 28 dans la matinée. Je dois prendre le commandement d’un des secteurs du « Groupement de Nieuport » qui va être constitué sous les ordres du Général Hely d’Oissel, avec qui je reprends contact le 27. Dans ce groupement, il y a deux secteurs naturels. A gauche, c’est à dire au nord, le secteur des dunes, au voisinage de la mer ; à droite, le secteur de Saint-Georges, c’est-à-dire le polder et l’inondation. A première vue, c’est le premier qui conviendrait aux marins, mail il est décidé qu’ils occuperont l’autre, et finalement, ce choix se trouvera être très judicieux, à cause de la complication très grande du secteur de Saint-Georges en canaux, écluses, éclusettes, vannes, passerelles de toutes sortes. Au surplus, nous devons prendre aussi la moitié du sous-secteur de Lombartzyde qui sera toujours le moins calme et le plus exposé.
Il s’agit, en somme, de s’emparer d’une position formée d’une courtine en terrain marécageux flanquée de deux bastions qui sont, à gauche, une dune élevée dite « la Grande Dune » et à droite, le village de Lombartzyde dont les ruines surplombent le marais de quelques mètres. Après une copieuse préparation d’artillerie, la courtine est bien prise, mais les troupes ne se sont emparées que des tranchées pleines d’eau, où elles reçoivent un feu violent d’enfilade venant des deux bastions. Force est de ramener les troupes à leur point de départ, avec une perte de 340 tirailleurs et de la presque totalité de leurs officiers. Tout cela, d’ailleurs, a motivé, pour les divers bataillons de ma brigade, des ordres, contre-ordres, mouvements en avant et en arrière, qui aboutissent finalement à la situation que voici : à Saint-Pol, l’Etat-Major de la brigade, l’Etat-Major et un bataillon du premier régiment, les deux ambulances ; dans le groupement de Nieuport, un bataillon du premier régiment en deuxième ligne sur la rive droite de l’Yser ; le deuxième régiment en entier, avec un bataillon à Saint-Georges, un autre à Nieuport-Bains, le troisième à Coxyde-Bains avec l’Etat-Major du régiment ; la compagnie de mitrailleuses a cinq sections au front et dix à Coxyde ; dans le secteur sud du groupement, le bataillon de Belloy a une compagnie au front de Saint-Georges, une compagnie dans les caves de Nieuport et deux compagnies aux fermes Labeur, où elles trouvent le moyen d’avoir dix blessés dans une seule journée du fait d’un bombardement que les marins ont attiré en se montrant beaucoup trop. Dans la nuit du 28 au 29, le bataillon Bertrand est poussé en première ligne dans le secteur des dunes, et il y subit des pertes sérieuses en raison des nombreuses bombes et grenades que les Allemands lui jettent à bout portant. Jusqu’à la fin du mois,
ma brigade reste dispersée, presque tout entière en dehors de mon
commandement. J’ai des loisirs et je les utilise à reprendre contact
avec la marine à Dunkerque. ******* Dans la nuit du 30 au 31 janvier, les bataillons qui sont dans le secteur des dunes sont mis à ma disposition pour l’organisation du secteur de droite de Nieuport, dont je dois prendre le commandement le 2 février. J’établis mon PC dans la petite ferme que le Colonel Hennocque occupait sur la route de Nieuport, afin de profiter des communications téléphoniques déjà installées avec la région de Saint-Georges, et je place mon QG à la « Roseraie », laiterie - brasserie située sur la route qui mène d’Oosdtunkerque à la mer et se trouve à proximité du PC du Général. Au point de vue tactique, la situation du groupement de Nieuport est la suivante : le Général Hely d’Oissel qui le commande dépend directement du général Foch, et dispose de trois brigades, l’une de zouaves (1er et 4e régiments) sous les ordres du colonel Ancel, la brigade de marins, et la 161e brigade territoriale (11e et 12e régiments) commandée par le Général de Gyves. L’artillerie, commandée par le Colonel Guillemin, comprend un peu d’artillerie lourde, 155 et 120, dont il dispose directement, et l’artillerie divisionnaire de la 38e et de la 81e divisions respectivement affectée aux secteurs.
Le front du secteur de droite, celui des marins, part de la route, un peu en retrait de celui des zouaves, à 900 mètres environ du débouché des cinq ponts, et court vers l’est, sur une ligne sinueuse et non continue, jusqu’à la digue de Boterdijk, puis descend vers le sud en suivant cette digue pour aboutir à la berge nord du canal de Passchendaele, après avoir franchi le canal d’évacuation au « pont de pierre ». Là finit notre sous-secteur nord ou sous-secteur de Lombartzyde. Notre front enjambe alors le sous-secteur belge de la briqueterie et reprend sur la berge au sud du vieil Yser où commence notre sous-secteur sud ou sous-secteur de Saint-Georges. Mais, au bord du vieil Yser, nous n’avons qu’un premier poste, puis plus rien jusqu’au Kruisdijk ou route de Nieuwendamme. Notre front suit alors cette route jusqu’à la berge nord de l’Yser que nous occupons jusqu’à la première brèche. Notre front reprend sur la berge sud, en face de la brèche, puis il y a encore une solution de continuité jusqu’à la route de Saint-Georges que nous occupons, ainsi que les ruines du village avec deux antennes que nous poussons, l’une sur la route de Bruges, l’autre sur la route qui conduit à la ferme de l’Union. Au sud de la route de Saint-Georges, il n’y a plus qu’une inondation intermittente, et nous communiquons avec les avant-postes belges des fermes Nordhuis au pont de Ketleersdamme qui franchit le Noord-Vaart. En somme, le front existe devant Lombartzyde, non continu d’ailleurs, mais non dans le secteur sud. Le front allemand est à peu près parallèle au nôtre, à une distance qui varie de quelques mètres à 200 mètres. Il est occupé par des troupes diverses, infanterie à casque, chasseurs à shako, marins des matrosen-regiments. Le chef d’en face est le Vice-Amiral Von Schröder, qui a son quartier général à Bruges, et commande aux forces de terre et de mer en Flandre. Il dispose d’une artillerie très forte qui va du calibre de 57 millimètres à celui de 420 dont un matériel est en position au sud d’Ostende, paraît-il. L’artillerie allemande est toujours très agressive et son ravitaillement en munitions paraît inépuisable. Dans
son ensemble, notre front est enveloppé par celui des Allemands. Notre
secteur nord est pris d’enfilade ou à revers par les batteries de
Mannekensvere, et notre secteur sud est pris à revers par les batteries
de Westende. Donc, nécessité de parados partout. | ||
Février 1915 | ![]() | |
Le 3, je reprends la charge du secteur sud, et j’affecte le deuxième régiment de marins au sous-secteur nord, le premier régiment en sous-secteur sud. Chacun des Commandants de régiment exerce le commandement du front du secteur pendant quatre jours, à tour de rôle avec PC à Nieuport. La compagnie de mitrailleuses, cantonnée à Coxyde-bains, entretient six sections au front. L’une des ambulances s’installe à Coxyde, l’autre est encore à Zuycoote. Ma première visite du front des marins ne me donne guère satisfaction. La partie la plus délicate, devant Lombartzyde, n’est pas pourvue d’un parapet continu, et il s’y trouve des trous de 10 mètres et plus qu’on ne peut franchir qu’en s’exposant à la fusillade ininterrompue de l’ennemi. Il ne peut être question de boyaux de communication, ni même de tranchées au sens propre du mot, car on ne peut creuser le sol où l’eau affleure partout. On ne peut construire de retranchements qu’en relief, mais comme le sol sablonneux fond sous la pluie, nous serons obligés de nous servir de carcasses de bois et en treillage métallique. Nous nous mettons à l’ouvrage immédiatement pour améliorer la situation, en particulier pour drainer le terrain. Le 5 février, le Général en chef arrive dans le groupement, et je lui présente un bataillon près de Coxyde. Le Général m’adresse des paroles fort élogieuses pour ma brigade et moi-même. Ce même jour, nous subissons des bombardements fort désagréables et, chaque nuit, les Allemands entreprennent le front de Lombartzyde au moyen d’un canon de 57 millimètres à tir rapide de type Marine, qu’il est à peu près impossible de contrebattre. Ce canon, très mobile, prend à chaque fois une position différente, exécute un tir très rapide et s’en va. Il n’est déjà plus là lorsque notre artillerie contrebat. Ce manège durera longtemps.
La ville de Nieuport, bombardée constamment, est déjà fort mal en point et ses rues sont encombrées de détritus de toutes sortes. La compagnie de territoriaux mise à la disposition du Major de garnison parviendra cependant, petit à petit, à mettre les ruines en ordre. Dans les dunes de la côte, nos voisins les zouaves sont fort ennuyés des ravages causés dans leurs rangs par les Minenwerfer allemands, engins préhistoriques qui viennent de faire leur apparition et se montrent très efficaces. L’Etat-Major du groupement m’offre deux petits mortiers, qui viennent évidemment d’un musée d’artillerie et je les accepte car il ne faut rien dédaigner. Quoi qu’il en soit, les jours et les semaines se passent en bombardements variés et en travaux gigantesques pour nous mettre à l’abri, de l’artillerie ennemie autrement puissante que la nôtre. L’action de l’infanterie se borne à des reconnaissances plus ou moins agressives et à des coups de main qui n’ont pas grande utilité, certes, mais que j’autorise pour entretenir le tempérament combatif des troupes. Le 24 février, après de nombreuses taquineries, les Allemands s’emparent, à 22 heures de la tranchée dite de la borne 1800 du secteur belge enclavé dans la notre sur la rive sud du canal de Plasschendaele. Une contre-attaque est décidée, préparée deux fois, puis abandonnée. A
la fin de février, l’inondation a beaucoup baissé dans la région de
Saint-Georges, où de vastes terrains deviennent praticables. Pour
éviter des surprises, nous entreprenons de construire un front continu
partant du Vieil Yser à l’éclusette, rejoignant puis suivant le
Kruisdijk et se prolongeant, au sud de l’Yser, jusqu’au pont de
Ketelersdamme. Notre sous-secteur nord est très amélioré, le front de
Lombartzyde étant maintenant continu. | ||
Mars 1915 | ![]() | |
![]() Le 10 mars, nous parvenons à trancher la question très délicate de l’eau de boisson, en creusant dans le sable, avec l’aide d’un puisatier de Dunkerque, un puits tubulaire qui nous fournit, à volonté, une eau claire et exempte de microbes. Nous développons aussitôt le procédé pour notre compte, et quand nous quitterons la région nous lui laisserons une centaine de puits. Le 12, l’Enseigne Bonnet, aidé par l’Enseigne de Béarn, enlève brillamment un poste allemand que nous appelons le fortin de Boterdijk. C’est fort bien, et je félicite chaudement les auteurs du coup de main, mais la conservation de ce fortin va nous coûter beaucoup de pertes et de soucis. La
fin de mars nous apporte beaucoup d’agitation dans les secteurs,
beaucoup de bombardements meurtriers et une recrudescence d’obus de 420
qui nous donnent beaucoup de tablature aux cinq ponts. D’autre part,
les fortes marées de l’équinoxe nous causent beaucoup d’ennuis en
démolissant l’une des portes de flot de Plasschendaele, ce qui
met le canal à la marée, au grand dam de ses berges qui ne sont pas
faites pour cela. | ||
Avril 1915 | ![]() | |
Le 7 avril, nous recevons un avis de la dissolution de la huitième armée et de la création d’un détachement d’armée de Belgique (DAB), placé sous le commandement du Général Putz, et qui comprend le groupement de Nieuport et celui d’Everdinghe entre la droite belge et la gauche britannique.
Le 22 avril, les troupes belges quittent l’enclave de la briqueterie, où elles sont remplacées par des marins. Ce même jour, nous apprenons que le groupement d’Everdinghe a subi une attaque où les Allemands ont tout nettoyé devant eux par l’emploi de gaz asphyxiants. Le front a été crevé à Steenstraat et des renforts de zouaves et d’artillerie quittent brusquement notre groupement pour celui d’Everdinghe, où l’on prépare la contre-attaque. Le bombardement de 420 continue. Le 28, Dunkerque et Bergues reçoivent de très gros obus. Comme le front est à 30 kilomètres de ces villes et que les artilleurs nient la possibilité de les bombarder à de telles distances, on affirme que ces obus viennent de la mer, ce que les Anglais contestent formellement. Le 30, les gros obus qui tombent sur Dunkerque sont identifiés, il s’agit du calibre 380 millimètres. En même temps, les lueurs de départ sont vues près de Clerchen, à 28 kilomètres de Dunkerque. Ainsi se trouve vérifiée l’opinion des marins du groupement, qu’un canon du type marine peut porter à un nombre de kilomètres égal au nombre de centimètres de son calibre, pourvu qu’on puisse lui donner l’angle de tir voulu. A la fin d’avril, notre secteur est pourvu de bons retranchements continus qu’il ne restera plus qu’à entretenir. | ||
Mai 1915 | ![]() | |
L’attaque se produit en effet vers 13 heures, sur tout le front compris entre Nieuwendamme et la mer, tandis que le bombardement continue avec violence sur les ponts, sur Nieuport et sur les arrières. Le calme revient à 15 heures et le front du secteur des marins n’a été entamé nulle part. Celui des zouaves a été forcé entre la route de Lombartzyde et le Mamelon Vert, mais la situation se stabilise dans la soirée. Les marins ont perdu 63 tués et 178 blessés dans la journée. Nous devions attaquer, le même soir, en liaison avec la gauche belge, les marins sur une position dite Wet sur la ferme de l’Union, les Belges sur les fermes Terstille et Violette. Malgré la dureté de la journée, les ordres d’attaque sont maintenus et celle-ci commence à 22 heures par des feux violents de l’artillerie franco-belge. Trois quarts d’heure après, les marins occupent les objectifs fixés, mais les Belges n’ont pris ni Terstille, ni Violette. Dès le lendemain, nos difficultés commencent. Les Allemands bombardent avec intensité nos nouvelles positions au moyen d’artillerie lourde. La nôtre contrebat, mais sans pouvoir cesser le tir de l’ennemi. Comme nous n’avons pas encore creusé de boyaux de communication dans les routes seulement, bien entendu, nous ne pouvons secourir les garnisons des points attaqués, et celles-ci ne peuvent que supporter passivement leurs pertes. Il faut attendre la nuit pour communiquer et évacuer les tués et les blessés. Nous restons dans cette situation pénible jusqu’à la nuit du 12 au 13 mai, au cours de laquelle les Allemands reprennent les deux positions où il ne restait d’ailleurs plus un seul homme valide. Sous ma responsabilité, je fais évacuer les tués et les blessés et abandonner nos malencontreuses conquêtes. Cette affaire nous a coûté 57 tués, 204 blessés et 22 disparus du premier régiment qui perd aussi 6 officiers. Du moment que notre artillerie n’était pas capable de museler celle d’en face, il était bien certain que nous ne pourrions conserver les positions conquises, et cela prouve, une fois de plus que, même à la guerre, en toute chose il faut considérer la fin. Pour le moment, et pour ce qui nous concerne, cette fin est que nous avons perdu 600 hommes en trois jours, alors que la marine éprouve des difficultés de plus en plus grandes à combler nos pertes. C’est ce que j’expose au Général Hely d’Oissel et au Général Putz, en présence d’un officier d’un officier de l’Etat-Major Foch, et notre conférence aboutit à suspendre les opérations offensives dans mon secteur. Le 11 mai, le DAB est supprimé. Le Général Putz s’en va et le Général Hely d’Oisselle remplace à Roussbrugge avec le commandement d’un nouveau corps d’armée, le 36e, composé de deux divisions actives et deux divisions territoriales. Je remplace moi même le Général Hely d’Oissel en attendant l’arrivée du Général Rouquerol qui prend, le 23, le commandement du groupement de Nieuport et de la 38e division. Le GQG notifie l’entrée de l’Italie dans la guerre. Comme l’offensive va reprendre dans la région d’Arras, le groupement de Nieuport est invité à faire quelque chose, et cela m’embarrasse car, en raison de la faiblesse de notre artillerie, je ne vois pas ce que nous pourrions faire en dehors de coups de main dont nous étudions d’ailleurs la réalisation. Nous ne pouvons agir que le long du canal de Plasschendaele, ou à Saint-Georges si les Belges reprennent l’offensive sur les fermes. Le 31 mai, à la tombée du jour,
nous voyons admirablement un zeppelin en route pour l’Angleterre. Vers
2 heures du matin, ce même zeppelin passe au-dessus de nos lignes
allant vers l’est. | ||
Juin 1915 | ![]() | |
Le vent, qui venait obstinément de l’est depuis plusieurs semaines, passe enfin à l’ouest et cela nous enlève une grosse inquiétude, car nous avons appris par un prisonnier, que les Allemands instruisent de fortes équipes de « gaziers » à Ostende. Nous avons bien des masques, mais ils sont rudimentaires et peu efficaces. On parle d’une grande offensive générale pour le 7 juin. Le 4, nous recevons l’ordre d’enlever une position ennemie, la rive sud du canal de Plasschendaele, et les Belges sont invités à s’emparer de fermes Terstille, Violette et Grorot-Hemme. Ces opérations doivent avoir lieu le 11, mais il n’y a pas accord sur la date, car nous attaquons dans la nuit du 10 au 11, sans succès d’ailleurs, tandis que les Belges n’opèrent que la nuit suivante, sans succès non plus. Nous recommençons nos tentatives à Plasschendaele trois nuits de suite et par des moyens différents mais finalement nous n’aboutissons à rien, et je fais suspendre les opérations. Le 20, un incident malencontreux se produit au front de la briqueterie. Marins français et marins allemands y entament des négociations ayant pour but l’enlèvement du cadavre d’un matin français resté dans les fils de fer allemands. Les deux parties échangent des rubans de bonnets, des paquets de tabac, des journaux et, sur la rive nord du canal, des soldats allemands mis en confiance, sortent de leurs trous et se délassent en se roulant sur l’herbe. C’est charmant, mais j’en suis averti, je fais ouvrir le feu de l’artillerie et tout rentre dans l’ordre.Le 27 juin, le 420 fait une brèche énorme dans l’ouvrage du canal de Furnes, et celui-ci se trouve en communication permanente avec la mer. Le génie belge entreprend de barrer le canal avec des sacs de terre. | ||
Juillet 1915 | ![]() | |
Le 1er juillet, nous commençons l’exécution d’une tête de pont rapprochée en avant des cinq ponts, où le 420 continue ses ravages. Le 7, le Général Rouquerol décide l’organisation d’une vaste position sur la rive gauche de l’estuaire et du canal de Furnes, et prescrit d’organiser défensivement la ville. C’est un très gros travail et je reçois un renfort de deux compagnies du génie. Je crée en même temps, dans chacun des régiments de marins une équipe de pontonniers qui sera désormais chargée de toute la besogne des canaux, des écluses et des passerelles flottantes. L’organisation de la ville est une chose fort complexe, car il faut barrer les rues, établir des communications protégées entre les caves importantes et protéger ces caves elles-mêmes contre les gros obus. Nous nous mettons à fabriquer, en grandes quantités, du béton fait de briques cassées. Le 14 juillet, nous avons le plaisir de contempler la première « saucisse » française au-dessus de Furnes. A la fin du mois, nous avons terminé l’exécution d’une deuxième ligne continue au front de Lombartzyde et nous en commençons une troisième. | ||
Août 1915 | ![]() | |
Cette fois, il ne se produit aucun incident. Le 10, nous constatons que l’eau s’infiltre sous le radier du massif des vannes du canal de Furnes, et ce massif ne tarde pas à s’incliner en se séparant de la berge. Du même coup, le courant qui s’est créé aussitôt emporte un nombre considérable de mètres cubes de cette berge et il nous faut travailler d’arrache-pied, avec le génie belge, pour arrêter la destruction du quai. Les risques graves sont conjurés au bout de quelques jours, mais nous avons d’autres ennuis au canal d’évacuation et au canal de Plasschendaele. Par contre, le 25 août, nous avons la satisfaction d’avoir inondé la plaine qui s’étend devant notre front du Boterdijck assez abondamment pour que toute progression y soit impossible, et cependant nous sommes restés maîtres du drainage de la plaine de Lombartzyde. Toutes nos opérations sont d’ailleurs faites sous le canon des Allemands, que nos manœuvres d’eau intriguent et qui nous le font savoir. Le 24, nous perdons nos compagnies de travailleurs territoriaux et un groupe de 75. Le
28, la levée de terre qui sépare le canal de Furnes du Woord-Vart cède
à un endroit où elle est très étroite et le canal de Furnes s’engouffre
avec violence dans le Noort-Vart qui déborde aussitôt. Le lendemain, la
brèche atteint une largeur de 40 mètres et la situation ne peut être
rétablie qu’au bout de plusieurs jours de travail. | ||
Septembre 1915 | ![]() | |
A la fin du
mois, gros tapage d’artillerie en l’honneur de l’offensive de
Champagne, et grand enthousiasme à l’arrivée des premières nouvelles.
Malheureusement, tout se tasse assez vite et nous restons avec la
défense d’employer l’artillerie en dehors des attaques de l’ennemi. | ||
Octobre 1915 | ![]() | |
Le
30, le Général reçoit l’ordre de renvoyer à l’arrière un bataillon de
tirailleurs qui rentre au Maroc et me prescrit de prendre en charge,
pour quarante-huit heures, la partie du front, qui s’étend entre la
route de Lombartzyde et la Geleide. Je fais donc occuper ce
nouveau secteur par quatre compagnies de marins. Dans l'après-midi du
1er novembre, quelques heures avant d’être relevés à leur tour par des
tirailleurs, ces compagnies reçoivent un Trommelfeuer particulièrement
intense qui leur coûte 3 officiers et 35 hommes. | ||
Novembre 1915 | ![]() | |
Le 4 novembre, le Général Hely d’Oissel me téléphone de Roussbrugge ma nomination de Vice-Amiral et je reçois quelques instants après un message du nouveau Ministre de la Marine, l’Amiral Lacaze, qui me rappelle d’urgence à Paris. Le 5, je remets le commandement de la brigade de marins au Capitaine de Vaisseau Paillet, Commandant du premier régiment, et je pars pour Paris où j’apprends que le Gouvernement a décidé de dissoudre la brigade en raison des pressants besoins du personnel qu’a la marine pour lutter contre le danger toujours croissant des sous-marins. Après quelques discussions, le Ministre décide que le drapeau des fusiliers-marins restera au front des armées avec un bataillon et une compagnie de pontonniers et huit sections de mitrailleuses. Le reste de la brigade regagne Paris par bataillons pour y être désarmé et le rôle des deux régiments est clos le 10 décembre 1915. Pendant les seize mois que la brigade a passés au front des armées, elle a perdu, en tués, blessés ou disparus, 172 officiers, 346 officiers mariniers et environ 6.000 quartiers maîtres et marins, soit la totalité de son effectif normal. Amiral RONARC’H | ||
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