L'INDOCHINE ET LE COUP DE FORCE JAPONAIS


Jacques DENIZOT


Les éléments ci-dessous sont inspirés, avec sa permission, du livre de Jean-Jacques DENIZOT – Les combats d'une famille, Histoire & Héraldique, 2007 – dans lequel il raconte l'histoire de sa famille et notamment les souvenirs indochinois de son père.

Début janvier 1941, le maréchal-des-logis-chef Jacques DENIZOT embarque à Marseille à bord de l'Éridan à destination de l'Indochine. Après avoir contourné l'Afrique, il accoste à Haïphong début avril 1941. L'Indochine, occupée par les Japonais, est isolée, coupée du monde extérieur. DENIZOT est l'un des rares sous-officiers de la colonie à avoir participé à la campagne de France en 1940 : fait prisonnier, il s'était évadé en août.

DENIZOT est dans un premier temps affecté à Hanoï comme instructeur au 4e régiment d'artillerie coloniale. Le 1er janvier 1942, il est promu adjudant, devenant à 24 ans l'un des plus jeunes adjudants de l'armée française. Muté à Tong à l'école d'élève officier de réserve, il échoue au concours et rejoint sa nouvelle unité à Lang Son. Quelques jours avant le coup de force japonais, il est muté de manière impromptue à Cao Bang, à la 5e batterie du 4e RAC (lieutenant Georges ROC), en remplacement d'un adjudant qui venait de tuer par accident un de ses tirailleurs.


Jacques DENIZOT (accroupi à gauche) avec son peloton d’instruction au 4e RAC à Hanoï en 1941.

LA COLONNE SEGUIN

Le 9 mars 1945, suite à l'attaque des Japonais, le colonel SEGUIN, chef de corps du 9e RIC, se porte au secours de Langson avec l'ensemble des unités de la garnison de Cao Bang. Devant l'étendue des charniers jalonnant la RC 4 – soldats décapités ou achevés à la baïonnette –, SEGUIN décide de faire demi-tour et de prendre la direction de la Chine. C'est alors que les lycéens du Tam Dao conduits par Marcel NER rejoignent la colonne SEGUIN [cf. la page consacrée à ces événements : Vers la Chine avec la colonne SEGUIN].

Le 10 avril, les artilleurs, dont la batterie de Jacques DENIZOT, qui n'ont pu suivre le rythme du déplacement imposé par le colonel franchissent enfin la frontière chinoise. Auparavant, attaqués par un fort parti vietminh à Dong Mu, dans une vallée encaissée, ils ont été contraints de détruire et d'abandonner leurs pièces d'artillerie. L'attitude de DENIZOT au cours de ce combat lui vaudra d'être décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze. Les soldats français passés en Chine sont alors réunis au camp de Tsao-Pa, près de Kunming, sur les hauts plateaux du Yunnan à 1 400 mètres d'altitude.


Jacques DENIZOT avec le sergent QUEREL sur le quai de la gare à Tsao Pa près de Kunming.

LE GROUPEMENT QUILICHINI

Début 1946, le lieutenant-colonel QUILICHINI, arrive de France pour prendre le commandement des Troupes françaises de Chine. À 32 ans, il est le plus jeune colonel de l'armée française (promotion Maréchal Joffre, il est sorti de l'ESM de Saint-Cyr en 1932) et s'est déjà couvert de gloire avec le 2e DB, en France et en Allemagne. Son premier contact avec les soldats du camp de Tsao-Pa est difficile : il se retrouve en face de soldats en haillons, souffreteux et pour la plupart désarmés. À son initiative, un groupe-franc directement rattaché à son état-major est créé. Parmi la soixantaine de sous-officiers triés sur le volet le constituant figure l'adjudant DENIZOT.

Entre les mois de février et avril 1946, un périple de 1 300 km à pied va conduire les 3 500 hommes de QUILICHINI jusqu’à Dien Bien Phu. À l'approche de celle-ci, dans la nuit de 5 au 6 avril, la compagnie indochinoise du capitaine MICHEL, du 16e RMIC, qui a été envoyée en éclaireur est violemment accrochée par les Chinois de la 93e Division et plusieurs Français sont tués : les Chinois occupent la région pour ramasser l'opium et ne veulent pas quitter les lieux. Après établissement d'un cessez-le-feu, QUILICHINI réussit à engager des pourparlers qui dureront une vingtaine de jours. Il négocie finalement le départ des Chinois moyennant le paiement d’une forte somme ainsi que la fourniture d'armes et de vivres. L'acheminement de ce tribut est confié à DENIZOT qui part seul, avec des caisses de piastres, d'armes et de vivres chargées à dos de mulets. Pour toute protection, il ne dispose que d'un laissez-passer en chinois signé par QUILICHINI et le seigneur de la guerre local. Arrivé au camps des Chinois, hurlants et menaçants, le laissez-passer se révèle finalement être efficace et, une fois délesté de son chargement, l'adjudant peut repartir, s'attendant à tout moment à recevoir un coup de feu fatal. Mais il n'en est rien, et sa mission est finalement accomplie sans anicroche. À son retour au PC, il fait son rapport au lieutenant-colonel qui lui avoue qu'il ne pensait pas le revoir vivant ; ce à quoi l'adjudant répond que lui non plus ne pensait pas le revoir, montrant ainsi qu'il n'avait pas été dupe... Fin avril 1946, la compagnie du capitaine MICHEL prend possession du terrain d'aviation de Dien Bien Phu et entreprend sa remise en état. Le 2 mai, le premier Dakota français atterrit.

DENIZOT n'a pas suivi le groupement QUILICHINI vers Hanoï : chargé du commandement d'un poste militaire, il reste dans le secteur de Dien Bien Phu. Fin octobre 1946, après près de six ans d'Indochine, sa santé est ébranlée : il souffre d'un sévère ictère. Évacué sur l'hôpital Lanessan de Hanoï, il sera par la suite rapatrié sanitaire vers la métropole.


Laisser-passer pour le rachat de Dien Bien Phu.


Traduction du laisser-passer (faite en 2008 par une jeune femme chinoise n'étant pas nécessairement au fait du langage militaire de l'époque) :

Ordre de l'armée de terre française.

L'adjudant DENIZOT doit partir avec ses troupes, pour amener de la nourriture à la base militaire française de Dien Bien Phu. L'adjudant DENIZOT doit d'abord passer par la voie (?) Chang Na où séjourne l'armée chinoise, puis repartir tout de suite à Dien Bien Phu.

Ce départ doit impérativement avoir lieu le 29 avril. Après quoi, l'adjudant DENIZOT doit revenir à Man Peng et y attendre d'autres ordres de son capitaine.