L'INDOCHINE ET LE COUP DE FORCE JAPONAIS DU 9 MARS 1945


LA PAGE DE JEAN-JACQUES DENIZOT

Les éléments ci-dessous sont extraits, avec sa permission, du livre de Jean-Jacques DENIZOT « Les combats d'une famille » dans lequel il raconte l'histoire de sa famille, et notamment les souvenirs indochinois de son père.


Jacques DENIZOT

Jacques DENIZOT embarque à Marseille sur l'Eridan pour l'Indochine début janvier 1941. Après avoir contourné toute l'Afrique, il accoste finalement à Haïphong début avril 1941. L'Indochine est alors déjà occupée par les Japonais, isolée et coupée du monde extérieur.

En Indochine, Jacques DENIZOT est un des rares sous-officiers à avoir participé à la campagne de France de 1940. Son évasion lui vaut d'être promu adjudant le 1er janvier 1942. (A 24 ans et demi il devient le plus jeune adjudant de l'armée française, tout au moins en Indochine...).

Dans un premier temps Jacques DENIZOT est envoyé à Hanoi comme instructeur au 4ème Régiment d'Artillerie Coloniale, avant d'être muté sur Tong, puis sur Langson. Quelques jours avant le coup de force japonais, il est muté de manière impromptue pour Cao Bang (dans un régiment d'infanterie coloniale, renforcé d'une batterie d'artilleurs), avec pour mission de remplacer un adjudant qui venait de tuer un de ses soldats.


Jacques DENIZOT (accroupi à gauche) avec son peloton d’instruction au 4ème RAC à Hanoï en 1941.

LA COLONNE SEGUIN

Le 9 mars 1945, suite à l'attaque des Japonais, le colonel SEGUIN commandant la garnison de Cao Bang forme une colonne avec toutes les unités pour se porter au secours de Langson. Tous les postes jalonnant la RC 4 étant devenus des charniers, soldats décapités ou achevés à la baïonnette, le colonel SEGUIN décide de faire demi-tour en direction de la Chine. C'est alors que les lycéens du Tam Dao conduits par Marcel NER rejoignent la colonne SEGUIN. [cf. la page consacrée à ces évènements : Sergent Maurice MILLOUR].

Le 10 avril, les artilleurs, dont la batterie de Jacques DENIZOT, qui n'ont pu suivre le rythme du déplacement imposé par le colonel SEGUIN franchissent enfin la frontière chinoise, après avoir été attaquée dans une vallée encaissée, à Dong Mu, par un fort parti viêt-minh et avoir dû détruire ses pièces. L'attitude de l'adjudant DENIZOT au cours de ce combat lui vaudra d'être décoré de la Croix de Guerre avec citation à l'ordre du régiment (cf. la citation signée du colonel SEGUIN ci-dessous).


Citation pour le combat de Dong Mu.

Tous les soldats français passés en Chine sont alors réunis au camp de Tsao-Pa près de Kunming, sur les hauts plateaux du Yunnan à 1 400 mètres d'altitude.

Jacques DENIZOT avec le sergent QUEREL sur le quai de la gare à Tsao Pa - Chine 1945.

LE GROUPEMENT QUILICHINI

Le lieutenant-colonel QUILICHINI arrive de France pour prendre le commandement des TFC (Troupes Françaises de Chine). Saint-Cyrien 1932, c'est le plus jeune colonel de l'armée française ; il a 32 ans et est déjà couvert de gloire des combats de la libération en France et Allemagne. Le premier contact avec les soldats du camp de Tsao-Pa est difficile : il se retrouve en face de soldats en haillons, souffreteux et pour la plupart désarmés.

QUILICHINI crée un commando constitué uniquement de sous-officiers triés sur le volet et rattachés à son état-major. Ils sont au nombre de soixante ; l'adjudant DENIZOT en fait partie. Un peu plus tard, celui-ci ayant eu pour mission de sillonner une partie de la frontière indochinoise, accueillera la colonne du général ALESSANDRI.

Entre les mois de février et juin, un périple de 1 300 kms à pied va les conduire le Groupement QUILICHINI fort de 3 500 hommes jusqu’à Diên Biên Phu. Les départs, initialement à destination de Hanoï, s'échelonnent en divers groupements entre le 21 janvier (Bataillon rhadé du commandant LEPAGE) et le 8 février 1946 (Bataillon de Marche du 5ème REI du chef de bataillon GAUCHER) ; Jacques DENIZOT part le 7 février avec l'Etat-Major de QUILICHINI.  Le groupement passe la frontière incochinoise au poste de Ban Nam Coum le 16 février. Au bout de trois semaines, ils sont sur le point d'attaquer Son-La qui doit leur ouvrir la route pour Hanoï, quand le lieutenant-colonel QUILICHINI reçoit le 31 mars 1946 l'ordre du Général LECLERC de se porter sur Diên Biên Phu : grâce à son aérodrome, les Français pourront y établir une liaison rapide avec le reste du pays.

A l'approche de Diên Biên Phu, dans la nuit de 5 au 6 avril, la compagnie indochinoise du capitaine MICHEL du 16ème RMIC qui a été envoyée en éclaireur, est violemment accrochée par les Chinois de la 93ème Division, et plusieurs Français sont tués : les Chinois occupent la région pour ramasser l'opium et ne veulent pas laisser le terrain. Après établissement d'un cessez-le-feu, le lieutenant-colonel QUILICHINI réussit à engager des pourparlers qui dureront une vingtaine de jours, et négocie finalement leur départ de Diên Biên Phu moyennant le paiement d’une forte somme, ainsi que la fourniture d'armes et de vivres. La mission est confiée à l'adjudant Jacques DENIZOT qui part seul, avec des caisses de piastres, d'armes et de vivres chargées à dos de mulets. Pour toute protection il n'a qu'un laissez-passer en chinois signé par QUILICHINI et par le seigneur de la guerre chinois... Arrivé au camps des Chinois, ces derniers, hurlant, le menace de leurs fusils, mais le laissez-passer se revèle être efficace : après avoir délesté l'adjudant de son chargement, il le laisse repartir. Jacques DENIZOT s'attend à tout moment à recevoir un coup de feu fatal, mais il n'en est rien et sa mission est finalement accomplie sans anicroche. Dès son retour au PC, il fait son rapport au lieutenant-colonel QUILICHINI qui lui avoue qu'il ne pensait pas le revoir vivant ; ce à quoi l'adjudant répond que lui non plus ne pensait pas le revoir, montrant ainsi qu'il n'avait pas été dupe...

Fin avril 1946, la compagnie du capitaine MICHEL prend possession du terrain d'aviation et entreprend sa remise en état. Le 2 mai, le premier Dakota français atterrit à Diên Biên Phu (leur apportant des fûts de vin : une véritable piquette !).

Jacques DENIZOT reçoit ensuite le commandement d'un poste dans la région de Diên Biên Phu, quittant ainsi le groupement QUILICHINI.

Fin octobre 1946, après six ans d'Indochine, la santé de Jacques DENIZOT est ébranlée et le médecin militaire décide son évacuation vers l'hôpital Lanessan de Hanoï pour un sévère ictère. Il est par la suite rapatrié sanitaire vers la métropole.


Laisser-passer pour le rachat de Dien Bien Phu.

Traduction (faite en 2008 par une jeune femme chinoise qui n'est pas nécessairement au fait du langage militaire de l'époque) :

Ordre de l'armée de terre Française.

L'adjudant DENIZOT doit partir avec ses troupes, pour amener de la nourriture à la base militaire Française de Dien Bien Phu. L'adjudant DENIZOT doit d'abord passer par la voie (?) Chang Na où séjourne l'armée chinoise, puis repartir tout de suite à Dien Bien Phu.

Ce départ doit impérativement avoir lieu le 29 avril. Après quoi, l'adjudant DENIZOT doit revenir à Man Peng et y attendre d'autres ordres de son capitaine.



Ordre général N°18

Le Lieutenant-Colonel QUILICHINI, Commandant les Troupes Françaises de Chine.

Vu la circulaire Ministérielle N°950-DF/Déco en date du 28 novembre 1944,Vu la note de service N°3646-I/CH en date du 10 juillet 1946 du Général de CA, Commandant Supérieur des TFEO,

Par délégation du Général de CA LECLERC, Commandant Supérieur des Troupes Françaises d'Extrème Orient et du Général de Division commandant les Troupes Françaises d'Indochine du Nord,

CITE A L'ORDRE DE LA BRIGADE :

DENIZOT Jacques Adjudant-Chef de la Compagnie de Commandement - N° Mle 2403.

« Affecté au groupe-franc de défense du PC des Troupes Françaises de Chine, a participé avec ce groupe à de nombreuses missions de reconnaissance et de liaison comportant des parcours très difficiles en zone d'insécurité et a commandé à plusieurs reprises des postes isolés. A fait preuve dans l'accomplissement de ces missions de très belles qualités militaires et n'a cessé de donner à sa Troupe dans les circonstances les plus difficiles, le meilleur exemple d'énergie et d'entrain. »

LA CITATION CI-DESSUS NE COMPORTE PAS L'ATTRIBUTION DE LA CROIX DE GUERRE.

Dien Bien Phu le 28 juillet 1946.
Le Lieutenant-Colonel QUILICHINI, Commandant les Troupes Françaises de Chine.