LE SERVICE ACTION D'EXTRÊME-ORIENT


Lorsque, à la fin des années 1990, j'ai commencé à m'intéresser au parcours militaire de mon oncle Maurice, je n'avais quasiment aucune information. Je savais par mon père qu'en mars 1945, depuis la station d'altitude du Tam Dao, il avait « pris la brousse » avec un groupe d'une douzaine de lycéens – dont on ignorait les noms – pour combattre les Japonais, menés par un de leur professeur, Marcel NER. Je savais également qu'après être passé en Chine il avait rejoint les Indes britanniques où il avait suivi une formation de commando-parachutiste : un chapeau de brousse « australien », des restes de parachute et un hamac dont la couche était solidaire d’une tente imperméable aperçus quand j'étais enfant dans le grenier de mes grands-parents l'attestaient. Je savais aussi qu'il avait été envoyé en mission au Moyen-Laos sous le pseudonyme de Michel MOREAU et qu'il y avait combattu aux côtés du capitaine Léon Henri AYROLLES (SERRES), puisque celui-ci le mentionne par deux fois son livre L'Indochine ne répond plus (« ... les jeunes étudiants MORANGE et MOREAU que le clash japonais a transformé en guerriers »). Enfin, mon père avait précieusement conservé une lettre griffonnée au crayon par son frère, écrite à Muong-Phine le 8 décembre 1945 et sommairement adressée à son père : « Lieutenant MILLOUR, 9e RIC, Hanoï », dans laquelle il indiquait que cette mission ne s'était pas déroulé pour le mieux, même s'il se voulait rassurant.

De recherches fructueuses en rencontres éclairantes, j'ai réussi à retracer assez finement le parcours de mon oncle sur la période 1945-1946 ; beaucoup plus que je ne l'avais initialement espéré : ses camarades du lycée Albert Sarraut l'ayant accompagné sur les pistes de Chine sont désormais connus, la mission à laquelle il a participé au Laos a également été identifiée – mission Kay 1 du Service Action d'Extrême-Orient – ainsi que 54 de ses 57 membres. Ces recherches se sont concrétisées, en mars 2020, par la parution aux éditions Sophia Histoire & Collections d'un livre intitulé Le Service Action au Laos 1945 –  Missions Kay 1 et Kay 2 (du point de vue stratégique, Kay 1 est en effet indissociable de Kay 2). Pour rédiger cet ouvrage, j'ai été amené à consulter quantité de documents qui allaient au delà des seules missions Kay et intéressaient le Service Action d'Extrême-Orient dans son intégralité, mais également le Détachement français des Indes (DFI), la French IndoChina Section de la Force 136 britannique (FICS), la Section de liaison française d'Extrême-Orient (SLFEO) ou la Mission 5 de Kunming. L'exploitation de ces documents s'est concrétisée par la rédaction d'un second livre, corédigé avec Gaston ERLOM, et paru aux mêmes éditions Sophia Histoire & Collections : Le Service Action d'Extrême-Orient 1944-1945 – Premiers parachutistes en Indochine.

[Réf.1]

[Réf.2]






Mais, bien que ces ouvrages soient déjà relativement conséquents puisqu'ils comptent chacun plus de 200 pages, tout n'a pas été dit et de nouvelles informations continuent d'être découvertes. Il m'a semblé qu'une bonne manière de partager ces données complémentaires était de les publier sur ce site internet.

Les dernières modifications apportées, à la date du 01/01/25, sont indiquées en caractères de couleur rouge. (Lors de la création d'une nouvelle section, seul son titre est en couleur rouge.)


Le SA au Laos 1945 – Missions Kay 1 et Kay 2

Erratum 1

Sur cette photo, présentée à la page 43 de [Réf.1], le troisième officier à partir de la gauche ne serait pas le sous-lieutenant Max ROGER comme indiqué, mais le lieutenant Louis-Jacques ROLLET-ANDRIANNE. Cette photo a été prise au Caire le 1er août 1945 sur le balcon de la chambre du capitaine Robert BOURCART (à gauche). Arrivés au Caire à bord du cargo Ville-de-Majunga, BOURCART, DU PAC DE MARSOULIES (à la gauche de BOURCART), ROLLET-ANDRIANNE et Max ROGER (absent de la photo) quitteront Le Caire par hydravion pour Calcutta où ils amerriront le 13 août.










Erratum 2

Pour une raison qui m'est inconnue, l'insigne du Groupement de guérilla franco-lao de Savannakhet est présenté dans le livre [Réf.1, p. 31] avec une symétrie par rapport à l'axe vertical (inversion de la droite et de la gauche). Le bon insigne est affiché ci-contre.

Membres des commandos Kay 1 et Kay 2

Depuis la parution du livre, de nouveaux parachutistes ont été identifiés comme ayant fait partie des missions Kay 1 et Kay 2 et, à ce jour, 54 des 57 parachutistes de Kay 1 et 61 des 64 de Kay 2 ont été identifiés avec certitude :
Cette photo a visiblement été prise en Inde, dans ce qui semble être un camp militaire. Elle pourrait donc avoir été prise dans le camp de transit de Kalyan, à une soixantaine de kilomètres de Bombay, entre le 22 septembre et le 2 octobre 1945  [Réf.1, pp. 48 et 49]. Aucun des deux officiers n'est formellement identifié. Le sous-lieutenant, à gauche, pourrait être Hubert PÉRIN. Le lieutenant, au centre, est-il Michel ÉMERY, grand ami de SABATIÉ ? La présence à leur côté d'une AFAT (lieutenant) est surprenante, aucune AFAT n’a fait le voyage vers Bombay à bord du Johan de Witt.

Bien qu’il ne soit pas possible sur cette photo de médiocre qualité d’en identifier les protagonistes, le personnage au centre, avec la main bandée, est sans aucun doute le sous-lieutenant Léopold FLABA : le 25 février 1946, lors d’un accrochage, celui-ci est en effet blessé au poignet gauche. Compte tenu du climat et des conditions de vie des guérillas, cette blessure relativement bénigne risque de s’envenimer. Aussi, après une longue marche et des souffrances extrêmes, FLABA réussit à rejoindre Pak Hin Boun où il attendra deux semaines avant d’être hospitalisé à Paksé, puis évacué sur la Thaïlande et Saïgon. Après plusieurs semaines d’inquiétude, sa blessure infectée finira par guérir et sa main sera sauvée. Les deux autres personnages sont probablement deux autres parachutistes de Kay 2 [Réf.1, pp. 156 et 157].

Au premier plan on reconnaît René BROCHARD, parachutiste de Kay 2 nommé sous-lieutenant fin 1945, qui depuis janvier 1946 est dans le secteur de Pak Hin Boun. Les Européens au second plan semblent être des soldats de la Coloniale ayant rejoint la guérilla après le coup de force japonais, plutôt que des parachutistes de la DGER. Cette photo a très probablement été prise le 20 mars 1946, la veille de l’attaque de Thakhek, à Pak Hin Boun ou dans un village des environs.

L'ensemble des photos de Georges SABATIÉ communiquées par son fils Jean-Louis peut être trouvé ICI.

Traversée du Mékong par les premiers éléments de Kay 2



Cette photo inédite, acquise via un site marchand sur Internet, complète les deux clichés présentés aux pages 76 et 78 de [Réf.1], relatifs au franchissement du Mékong, le 21 octobre 1945, par les premiers éléments du commando Kay 2 à pénétrer au Laos. Il n'a malheureusement pas été possible de connaître l'origine de cette photo qui avait très certainement dû appartenir à l'un des membres de Kay 2, voire même à l'un des parachutistes représentés.


Le SA d'Extrême-Orient 1944-1945 – Premiers parachutistes en Indochine

Erratum

Contrairement à ce qui est indiqué pour la dague Fairbairn Sykes du capitaine BAUDENON [Réf.2, p. 66], son fourreau n'était pas métallique, mais en cuir avec des renforts en métal. Il s'agissait d'une fabrication indienne et non pas britannique. Ci-joint un exemple de cette fabrication locale. (Informations et photo communiquées par Fernand GORCE.)

Personnel du DFI et de la SLFEO parachuté en Indochine

Entre le 7 juillet 1944, date du premier parachutage en Indochine, et la fin de l'année 1945, près de 410 parachutistes ont été infiltrés par voie aérienne dans la colonie, dont 340 parachutés ; 370 d'entre eux ont pu être identifiés [Réf.2, pp. 198-201]. Depuis la parution du livre, outre les nouveaux parachutistes identifiés pour les missions Kay 1 et Kay 2 comme précisé ci-dessus, il a été découvert que, de même que GIACOBBI, plusieurs membres des Commandos de France ont rejoint la SLFEO et les Indes. C'est par exemple le cas du sous-lieutenant André SAINT-MLEUX, qui a été affecté au Corps de liaison administrative d'Extrême-Orient (CLAEO), ainsi que, probablement, du capitaine Jean GUÉGOT, du sergent-chef Guy LIÉGEOIS (MEURSOLLES) et du sergent Simon MARCOU. Il a également été découvert que le sous-lieutenant Michel LE HUCHE avait été parachuté au Nord-Tonkin fin 1945.

Groupe du sous-lieutenant GUILLIOD

Dans son compte rendu de mission, « Douze mois de mission au Nord-Laos », publié dans le Recueil des commandos du CLI, rectificatif et additif, Jean GUILLIOD apporte plusieurs précisions sur le groupe Polaire (anciennement Groupe SERRES) dont il est devenu le chef fin juin 1945. L'effectif de Polaire à la date du 28 juin est le suivant [Réf.2, p. 117] :

Lorsque, le 16 août 1945, le commandant Pierre CROS (Pierre MUTIN) reçoit l'ordre de gagner Hanoï [Réf.2, p. 132], 12 hommes de Polaire lui sont mis à disposition : AYROLLES, DESFOSSÉS, HERBERT, TURPIN, LANDOLFINI, ORSINI, TÉSOLIN, TOQUOY, VEYRET, BOLOGNE, DIDOU et GONZALES.

Personnel du DFI et de la SLFEO non parachuté

Au total, on peut estimer à 800, dont une trentaine de femmes, le nombre de militaires français ayant été affectés à des emplois sédentaires en Inde ou en Chine. Notre objectif, ici, n'est pas de les lister tous, mais d'apporter des compléments sur ceux mentionnés dans le livre. Quelques nouveaux officiers ou sous-officiers peuvent également être mentionnés compte tenu de la spécificité de leur parcours.

Les centres de formation de l’OSS

Parmi les Français réfugiés en Chine après le coup de force japonais, quelques-uns vont se porter volontaires pour les missions spéciales en Indochine et rejoindre la DGER. C’est par exemple le cas de René BROCHARD et de Claude PALISSE qui, avec douze autres jeunes de la section SA du Tam Dao, sont passés en Chine début avril. Leur formation de commando va être assurée par l’OSS dans ses centres d’entraînement chinois.

La première formation qui leur est délivrée est celle de parachutiste à l’OSS Kunming Parachute School, située à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville. Le stage commence par une mise en condition physique selon une méthode qui, à en croire le film Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, sera toujours pratiquée dans le corps des Marines vingt ans plus tard. René BROCHARD raconte (René BROCHARD, L'année du tigre, NiL éditions, 1994, pages 150 à 153) : « Le stage commença […] à un rythme d'enfer. Pendant sept heures, chaque jour, on [était soumis] à des exercices physiques, cadencés par les “one, two, three, four” des instructeurs […]. Les élèves étaient répartis en groupes de trente. Un instructeur, juché sur une estrade, exécutait les mouvements qu'ils répétaient, tandis qu'un autre circulait entre les rangs pour veiller à leur fidèle exécution. Toute défaillance était sanctionnée sur-le-champ ; le fautif sortait du rang et devait exécuter dix ou vingt pompes, sous l'œil intraitable de l'instructeur. Si [celles-ci] étaient à moitié exécutées, il en doublait le nombre. » À l’issue de trois semaines de préparation physique entrecoupée d’exercices de sorties d’avion et de roulés-boulés, arrive le moment tant attendu du premier saut réel : « Après les “stand up”, “hook up”, “stand at the door” vint le “go !” hurlé par le dispatcher agenouillé près de la porte, accompagné d'une grande tape sur la cuisse ».

Une fois brevetés, leur diplôme de “qualified parachutist” en poche, BROCHARD et PALISSE vont poursuivre leur formation commando au Detachment 204 de l’OSS à Kai Yuan, important nœud ferroviaire sur la ligne qui reliait avant-guerre Haïphong à Kunming. Le centre de formation, à l’écart de la ville, est constitué de trois longs bâtiments en dur et d’un quatrième plus petit. Les stagiaires sont hébergés dans de grandes tentes carrées à toit pyramidal dont le mobilier est constitué en tout et pour tout de huit lits de camp. Si l’hébergement est relativement spartiate, il n’en est pas de même pour le réfectoire qu’abrite l’un des trois grands bâtiments : café, petits pains, beurre, sucre, ketchup et beurre de cacahuète sont disponibles à profusion, servis et desservis par des boys chinois, impeccablement vêtus de blanc. À Kai Yuan, les stagiaires suivent les formations habituelles destinées aux agents de renseignement (organisation et identification des forces nippones…), commandos (entraînement au tir de toutes sortes d'armes…) et saboteurs (maniement des explosifs et des booby traps…). Le stage se termine par une mise en situation sur le terrain : les stagiaires sont lâchés en pleine nature, généralement de nuit, par petits groupes ayant chacun un objectif précis. Les gardes chinois en charge de la protection des points sensibles qu’ils doivent approcher ne sont pas nécessairement avertis de l’exercice en cours et sont donc susceptibles de tirer à balles réelles.