L'INDOCHINE ET LE COUP DE FORCE JAPONAIS


René BOUCHER


Sylvain BOUCHER recherche tout élément concernant son grand-père, René BOUCHER, qui était clairon au 9e RIC en mars 1945.

Quand il quitte l'Indochine, en août 1946, René BOUCHER ramène avec lui ses deux enfants métis, Germaine et Maurice (le père de Sylvain), nés à Hanoï en 1941 et 1944. Leur mère, THI HOI NGUYEN, ne fait pas partie du voyage. Sylvain ne sait pas ce qu’il lui est arrivé, son grand-père n'en ayant jamais rien dit. Le sujet était tabou dans la famille et le peu d’informations recueillies par Sylvain souvent contradictoires.

René BOUCHER est décédé en 1985, Sylvain avait alors 15 ans, ses derniers mots et pensées ont été pour l’Indochine.

En 2007, sur l'insistance de Sylvain, son père Maurice, âgé de 63 ans, décide d’affronter son histoire et son passé et entreprend de trier les rares documents photographiques et papiers en sa possession (courriers, papiers militaires de son père). Un voyage au Vietnam est même en préparation avec la mère de Sylvain. Malheureusement, Maurice BOUCHER décède d’une crise cardiaque le 6 juin 2009, un mois avant d’effectuer ce voyage que Sylvain fera finalement avec sa mère, du 22 juillet 2009 au 15 août 2009.

La famille de René BOUCHER est originaire de Voluray dans la Nièvre. En 1933, il s'engage pour un an en devançant l’appel au 3e Régiment de zouaves à Constantine (Algérie). Il est libéré et renvoyé dans ses foyers un an plus tard, le 25 octobre 1934.

Après le front populaire, il n'y a pas beaucoup de travail dans la région et la ferme de Voluray ne permet pas de nourrir toute la famille : les trois frères BOUCHER sont obligés de se louer dans les fermes avoisinantes. René, qui n'a pas gardé un mauvais souvenir de son passage aux zouaves, décide de se rengager pour quatre ans comme 2e classe au titre du groupe d’Indochine. Affecté au RICM (Régiment d'infanterie coloniale du Maroc) à Aix-en-Provence le 4 novembre, il embarque pour l’Indochine le 7 mai 1937

Débarqué à Haïphong le 8 juin, il est affecté au 9e RIC à Hanoï. Il y sera successivement nommé soldat de 1re classe (1937), clairon-titulaire (1938) puis caporal-clairon ( 1943).

Son petit-fils, Sylvain, n'a pas retrouvé d'information précise quant à l'affectation de son grand-père au sein du 9e RIC, mais on peut supposer qu'il était au 1er bataillon, ce qui expliquerait sa participation aux combats de Langson de septembre 1940 : dans la soirée du 23 septembre, en provenance de Hanoï, le I/9e RIC arrive en renfort à Langson. Après de brefs combats qui semblent avoir été assez confus, du moins dans le souvenir du soldat BOUCHER (pilonné par l'artillerie française, officier voulant faire sauter le fort où ils avaient trouvé refuge...), son unité est faite prisonnière.

Les Japonais n'ayant pas prévu autant de prisonniers, les Français sont parqués plus qu'internés, mais sont relativement bien traités, si ce n'est des conditions sanitaires très médiocres. René et ses compagnons vont être enfermés plusieurs semaines dans un grand parc. Pour pallier à l'insuffisance du ravitaillement, les prisonniers font appel au « système D » et tuent un vieux cerf qui vivait dans le parc ; tout y a passé, jusqu'aux sabots qui ont été bouillis. Le Japon et le gouvernement de Vichy ayant fini par trouver un accord, les prisonniers français sont libérés et le soldat BOUCHER rejoint son casernement dans la citadelle de Hanoï.

Dans les années suivantes, René BOUCHER participe à plusieurs opérations de maintien de l'ordre, les indépendantistes vietnamiens profitant de la faiblesse des Français pour se renforcer et mener différentes actions. C'est dans cette période qu'il rencontre THI HOI NGUYEN (fin 1940 / début 1941) puisque leur premier enfant, Germaine, naît fin 1941. Leur deuxième enfant, Maurice, naîtra en 1944.

La famille de Sylvain ne sait pas grand chose de THI HOI NGUYEN, si ce n'est qu'elle était originaire d'un petit village en dehors d'Hanoï, probablement du village de Hadông. Il ne reste d'elle que quatre photos jaunies. Comme les RUBÈGUE, la famille BOUCHER habite route du champ de course (aujourd'hui rue Doi Can), au numéro 75 (n°3, voie 237).

Dans cette période, un élément a marqué René BOUCHER : deux indépendantistes vietnamiens ont été arrêtés et condamnés à mort, il est désigné pour faire partie du peloton d'exécution. Il réussit à se faire porter pâle pour ne pas devoir exécuter ces « pauvres gens ». Pourquoi avait-il été désigné dans le peloton ? Était-ce à cause de ses sympathies envers le Parti Communiste ? Voulait-on le mettre à l'épreuve ? Était-il sur une liste rouge... ? Même si officiellement de telles listes n'ont jamais existé, pour René elles étaient bien réelles : il racontait qu'ayant pu consulter son dossier militaire, il avait vu qu'en annexe il était inscrit que son frère Florimon (Gaston) BOUCHER avait déserté lors de la mobilisation en 1939 et qu'il était un communiste notoire.

Le soir du 9 mars 1945, le caporal BOUCHER est dans son domicile familial avec sa compagne et ses enfants. Le surlendemain, après la chute de la citadelle et la reddition de l'état-major français, les Japonais parcourent la ville avec des voitures équipées de haut-parleurs, demandant aux militaires restés en ville de se rendre. Passé un délai de 24 ou 48 heures, tous ceux qui seraient pris seraient exécutés. De crainte d'être dénoncé par un voisin et de mettre sa famille en danger, René BOUCHER préfère se rendre. Il est alors emprisonné dans la citadelle. Pour se nourrir, les prisonniers doivent compter sur leurs familles ou, en fonction de l'humeur des Japonais, acheter des provisions à qui veut bien leur en vendre. La faiblesse des prisonniers et la prolifération des poux entraîne une épidémie de typhus dans la citadelle. BOUCHER, qui l'avait eu quelques mois auparavant, échappe à la maladie ; avec son clairon il est alors très souvent sollicité pour la sonnerie aux morts.

Autre élément qui avait touché René BOUCHER : un couple de Vietnamiens qui faisait du commerce avec les prisonniers est arrêté par les Japonais. Après avoir été battus, ils sont attachés par les poignets à une corde trop courte passée au-dessus d'une branche d'arbre, de sorte que si l'un veut se reposer l'autre doit être en extension sur la pointe des pieds. Ce supplice dura toute la journée ; ils n'ont été libérés que le soir, devenus à moitié fous.

Fin juin, René est transféré dans un camp dans la région de Hoa-Binh. Deux jours de marche avec juste une poignée de riz et quelques gorgées d'eau pour toute nourriture. La nuit est passée dans le fossé, au bord de la piste. Ceux qui sont tombés lors de cette marche forcée n'ont plus jamais été revus.

Camp au milieu de nulle part dans la jungle. Conditions de survie extrêmes. Mauvais traitements. Aucune mesure d'hygiène. Travaux forcés.

Deux prisonniers tentent une évasion. Deux jours après ils sont ramenés par des « Annamites », portés et attachés comme du gibier sur des bambous. Les Japonais leur font creuser un trou et les enterrent vivants ; seule la tête dépasse du sol. Devant les prisonniers réunis, une horrible danse du sabre commence, les Japonais dansant en mimant la décapitation. Cette danse macabre dure longtemps, longtemps. Une heure ? Deux heures ? Puis ils finissent par leur couper la tête.

Sans moustiquaires, la malaria fait des ravages. La moindre blessure peut être fatale : tétanos, gangrène... Est-ce là qu'un de ses compagnons avait dû être amputé d'une jambe ? René BOUCHER avait été chargé d'enterrer le membre coupé. Quand il racontait cette histoire, il disait, la larme à l'œil : « C'est lourd une jambe ». Comme la quasi-totalité des prisonniers de Hoah-Binh, BOUCHER, qui ne pesait plus qu'une quarantaine de kilos à sa libération, en gardera des séquelles jusqu'à sa mort : crises de paludismes chroniques, dysenterie. L'histoire familiale raconte qu'il aurait survécu au camp de Hoa-Binh parce qu’il était clairon : il pouvait ainsi sonner le rassemblement, le repas ou la sonnerie aux morts, ce qui le rendait, sinon indispensable, du moins utile aux Japonais et lui aurait valu un traitement de faveur relative.

Après sa libération, René BOUCHER est affecté, en octobre 1945, au BFC (Bataillon formant corps) du 9e RIC et nommé caporal-chef clairon le 1er janvier 1946. À noter qu'il a eu du mal à retrouver ses deux enfants qui avaient été séparés : il a dû emprunter à des amis pour payer le coût de leurs pensions aux religieux chez qui ils avaient été placés pendant sa captivité [!], et qui ont tout fait pour le dissuader de les reprendre [!!]. Avant de quitter Hanoï, il se rend à Hadông, le village de THI HOI NGUYEN et y rencontre le grand-père, l'ancien, qui lui dit que c'est mieux pour les enfants qu'ils aillent en France.

Le 9 juillet 1946, René BOUCHER et ses deux enfants, respectivement âgés de cinq et deux ans, quittent Hanoï pour Saïgon et, le 28 août, ils embarquent au Cap Saint-Jacques sur l'Ile-de-France à destination de Toulon [cf. le récit de ce voyage].

 
Photo très probablement prise en Indochine. René BOUCHER est accroupi, le deuxième en partant de la gauche.

 

THI HOI NGUYEN, la grand-mère de Sylvain BOUCHER.

THI HOI NGUYEN et René BOUCHER.

THI HOI NGUYEN en costume traditionnel.

THI HOI NGUYEN et sa fille Germaine en 1942.