Les Français sont en Indochine depuis 1860. Le 26 août 1938,
l'adjudant-chef Pierre MILLOUR, mon grand père alors âgé de 36 ans,
embarque à Marseille sur le Cap Padaran à destination de
l'Indochine où il a été affecté Avec lui il y a ma grand-mère, Marie-Anne
GUÉNOLÉ, et leurs quatre fils : Pierre (Brest, 1924), Maurice (Brest,
1925), Christian (Alger, 1926) et Jacques, mon père âgé de 8 ans
(Philippeville, 1931). Sur ce même navire se trouve la famille PLIJOUX.
Depuis le 15 septembre 1920, date de son engagement au 2e Régiment d'infanterie coloniale (2e RIC) à Brest, il s'agit du cinquième séjour dans les colonies de Pierre MILLOUR :
Le 25 septembre 1938, quatre jours avant son débarquement à Haïphong, l'adjudant-chef MILLOUR est nommé sous-lieutenant. À son arrivée, il est affecté au 9e RIC dans la citadelle de Hanoï.
RUE DU MARÉCHAL JOFFRE |
Le premier logement de la famille MILLOUR à Hanoï est situé boulevard Carnot, mais elle déménage rapidement pour une maison – mise à disposition par l'armée – située au 30, rue du Maréchal Joffre, près de la porte Est de la citadelle, juste en face l'Hôtel de la DT, résidence du général commandant la Division du Tonkin. Il s'agit d'une maison de type coloniale à un étage dont le rez-de-chaussée est réservé à deux tirailleurs africains, hommes à tout faire de la maisonnée. Dans le jardin qui l'entoure se trouve une petite maison pour le bep, le cuisinier vietnamien, au seul service de la famille MILLOUR. Ce jardin ne devait pas être aussi immense qu'il l'était dans les souvenirs de mon père, mais il l'était cependant suffisamment pour qu'il ait réussi à y bricoler un sautoir à la perche.
Photo prise le 26 février 1939, soit 5 mois après l'arrivée des MILLOUR en Indochine, probablement Boulevard Carnot.
En 1939, la famille BOIDEC embarque sur le Sphinx, dernier navire ayant quitté la France pour l'Indochine avant la guerre. Outre le sous-lieutenant Henri BOIDEC, de l'artillerie coloniale, et Hélène, son épouse, elle est constituée de leurs deux enfants, André (1926, Lorient) et Maryse (1931, Agen). La famille BOIDEC va également s'établir rue du Maréchal Joffre : au n°77, à une cinquantaine de mètres au sud de la maison des MILLOUR, en face de celle du général François MASSIMI. Fin 1944, les BOIDEC retrouveront à Hanoï la famille d'un cousin d'André BOIDEC, Fernand MERLE, médecin militaire né à Brest en 1909. En 1942, Fernand MERLE qui revenait d'un séjour en Chine avait été affecté au 3e RTT à Dap-Cau. Il avait ensuite, fin 1943, été affecté au 19e RMIC à Haïphong puis à Kien-An, à dix kilomètres de là, avant, à la fin de l'année 1944, de partir pour Hanoï et de suivre un stage de chirurgie de guerre à l'hôpital Lanessan.
Moi-même, devant la maison de mes grands-parents à Hanoï qui existait encore en 2018. Son adresse actuelle est n°1 Ngo 30.
La maison mitoyenne de celle des BOIDEC, au n°79, est habitée par la famille VIEULLE composée d'un couple originaire du Sud-Ouest de la France et de leur fille de l'âge de mon père. Albert VIEULLE est officier de la coloniale (nommé lieutenant en 1941) et Mme VIEULLE, couturière, aurait travaillé pour la sœur de BAO-DAI.
André BOIDEC, qui est donc voisin des frères MILLOUR, vient régulièrement jouer dans leur jardin. Un de leurs jeux favoris consiste à grimper dans les banians, arbres immenses, pour en taillader le tronc et en extraire une sève ressemblant à du caoutchouc, puis la faire couler dans une feuille qui, une fois roulée, devient une balle aux rebonds extraordinaires.
Photo
des
maisons n°77 (à gauche) et 79 (à droite) rue du Maréchal Joffre,
prise en 1953 par un militaire français.
(Photo communiquée par André BOIDEC)
Les enfants MILLOUR et BOIDEC fréquentent le lycée Albert Sarraut. En 1939, mon oncle Pierre est en 3e A. Dans sa classe il y a notamment François-Xavier ORTOLI, futur ministre de Georges POMPIDOU et président de la Commission des communautés européennes. Il y a également Claudie, la fille de Claude BEAUCARNOT, directeur général des tuileries de l'Indochine, chargé de cours à l'école des Beaux-Arts de Hanoï.
En 1942, mon père Jacques MILLOUR, Jacquy pour ses copains, entre en classe de 6e A ainsi que Maryse BOIDEC (6e A1). Il suit par ailleurs à l’église des Bienheureux martyrs du père CAILLON les cours de catéchisme de Mme LEFEBVRE d'ARGENCÉ, l'épouse du lieutenant-colonel Marc LEFEBVRE d'ARGENCÉ.
En 1942 et 1943, Pierre, le fils aîné de la famille MILLOUR, prépare Saint-Cyr au lycée de Dalat (Cochinchine) ; en 1944 il entre à l’École militaire de Tong (Cyr, Promo 44).L'adolescence se prête volontiers à l'exercice du sport et aux activités de plein air, préconisés par le Maréchal en France et par l'amiral DECOUX en Indochine :
La guerre n'est cependant jamais loin. Mon père se souvenait, à l'été 1945 et alors que la famine régnait au Tonkin, d'un jeune adolescent « annamite » qui, venant du quartier indochinois, avait franchi la ligne de chemin de fer dans l'espoir de chaparder quelque nourriture aux Français ou aux Japonais. Surpris à voler, des soldats japonais l'avaient attaché en bordure de la rue du Maréchal Joffre et, toute la nuit, s'étaient entraînés sur lui avec leurs baïonnettes. Au matin, un officier lui avait donné le coup de grâce avec son revolver.
PLAN DE LA CITADELLE ET DES QUARTIER AVOISINANTS |
ÉPILOGUE |
Les familles MILLOUR et BOIDEC, qui s'étaient réfugiées au Tam Dao au début de l'année 1944, se retrouvent à Hanoï au mois de mai 1945. Les BOIDEC ont quitté le Tam Dao en compagnie de Mme POUDEVIGNE et de ses enfants, la famille du médecin-capitaine Henri POUDEVIGNE, du 9e RIC, qui était dans la citadelle lors des combats. Ils sont dans un premier temps logés chez François MARTIN, le chef de secteur d'Air France à Hanoï, mais celui-ci, membre du réseau de renseignement GIRAUD-LAN, est arrêté quelques jours après leur arrivée par la Kempetaï, la gendarmerie japonaise. Sauvagement torturé pendant plusieurs jours, François MARTIN décède le 12 mai 1945. Les BOIDEC sont alors successivement expulsés et relogés chez plusieurs familles dans le centre ville, et ce jusqu'à la reddition des Japonais et l'arrivée des troupes du général chinois LOU HAN à partir du 9 septembre.
En juin 1945, Maurice MILLOUR a rejoint Calcutta où il s'est engagé dans la DGER. Après avoir suivi une formation de commando-parachutiste, il est aéroporté au Laos en octobre 1945 (mission Kay 1 du SA d'Extrême-Orient).
Fin août 1945, mon père, Jacques MILLOUR, est opéré de l'appendicite par un médecin japonais avec comme résultat un début d'infection. Sur les conseils du médecin-commandant Fernand TONNAIRE, du 5e REI, la famille MILLOUR consulte le professeur HUARD qui ré-opére mon père dans sa clinique. Lorsque début septembre les Chinois entrent dans Hanoï, il est toujours hospitalisé.
La capitulation japonaise est signée le 2 septembre 1945. Les prisonniers français ne sont cependant pas immédiatement libérés, mais restent sous la « protection » de leurs gardiens japonais. Le lieutenant Pierre MILLOUR est libéré le 18 septembre 1945. En février 1946, il est affecté à Hanoï au BFC (Bataillon formant corps) du 19e RIC, sous les ordres du chef de bataillon JACOBI. Le 7 avril 1946, il est dirigé sur Saïgon.
Son fils, l'élève officier Pierre MILLOUR qui était détenu avec lui au camp de travail du Tam Dao, a également été libéré et nommé sous-lieutenant. De novembre 1945 à septembre 1946, il participe aux combats contre les forces du Vietminh dans la Plaine des Joncs (delta du Mékong).
En octobre 1945, son frère Christian MILLOUR, âgé de 18 ans, s'engage au 21e RIC. Il combat le Vietminh dans le delta du Fleuve Rouge et est nommé sergent au feu. Il rentrera en France en septembre 1947.
Les prisonniers des camps de Hoa Binh sont eux aussi libérés et ramenés à Hanoï. Beaucoup, comme le lieutenant BOIDEC, sont dans un triste état car souffrant de paludisme, amibiase, ou béribéri. Après sa libération, les BOIDEC regagnent leur logement de la rue du maréchal Joffre.
Fin 1945, le médecin-capitaine Fernand MERLE rejoint le Groupement QUILICHINI à Tsao-Pa. Sa famille part pour Saïgon où elle attendra pendant de longs mois, dans les dortoirs d'une maternité de Cholon, une place dans la cale d'un liberty-ship pour Marseille.
Le 18 mars 1946, vers 15h00, le général LECLERC pénètre dans Hanoï avec des éléments de la 9e DIC et de la 2e DB.
André BOIDEC, âgé de vingt ans, est appelé au Régiment de marche du Tchad (2e DB). Un mois et demi après son incorporation, il rechute d'une dysenterie amibienne qu'il avait contractée lors d'un précédent séjour en Chine et, de ce fait, est réformé temporaire. Depuis Hanoï, il rejoint Haïphong en convoi pour embarquement sur le croiseur Suffren à destination du Cap Saint-Jacques où il monte à bord du Pasteur pour être rapatrié sanitaire. André BOIDEC débarque à Toulon début 1947. Trois ans plus tard, il épousera Michèle BOSQUIN, son premier amour du Tam Dao.À l'entrée du Canal de Suez, l'Ile-de-France dut attendre que deux puissants remorqueurs viennent l'aider à manœuvrer sa masse de 45 000 tonnes : jamais encore un navire d'un tel tonnage ne l'avait emprunté. La masse du paquebot l'empêchait en effet d'utiliser ses machines car les énormes remous que ses hélices auraient générés étaient susceptibles d’abîmer le lit du canal. Les deux remorqueurs tiraient lentement le paquebot, évitant de trop serrer les deux rives, lorsqu'une des amarres céda et que le navire, entraîné par son inertie, se planta dans le sable avec une forte gîte. Les haut-parleurs se mirent alors à hurler pour disperser les passagers qui s'étaient tous agglutinés à tribord pour assister au spectacle. Après plusieurs manœuvres, l'Ile-de-France put reprendre sa route jusqu'à Ismaïlia où il fit une très courte escale avant d'emprunter la seconde partie du canal, entre les hautes berges de sable fréquentées par de longues caravanes de chameaux, et atteindre Port-Saïd, porte de la Méditerranée. Après avoir franchi le détroit de Messine, puis les Bouches de Bonifacio, l'Ile-de-France arriva à Toulon le 17 septembre 1946.
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